L’offre actuelle n’étant pas adaptée aux besoins, nombreux sont les Tunisiens qui recourent à des services d’épargne ou de crédit informels. De plus, la qualité des portefeuilles des banques laisse à désirer : on observe des arriérés sur quelque 15 % des prêts, et les banques prêtent essentiellement aux salariés. D’après la banque centrale tunisienne, en 2013, l’encours des prêts à 1,3 million d’entrepreneurs avoisinait 16 milliards de dinars tunisiens (7 265 milliards d’euros), et environ 338 000 entreprises ont pu se financer.
La plupart des établissements financiers considèrent que le microfinancement des TPE-PME (très petites entreprises et petites et moyennes entreprises) est un segment risqué et opaque. Selon une étude IFC de 2014 (a), les personnes qui travaillent dans 29 % des TPE-PME examinées n’ont jamais cherché à ouvrir un compte bancaire, 37 % affirment avoir besoin d’un financement mais n’avoir jamais contacté un établissement financier, 78 % paient leurs fournisseurs en numéraire et 91 % rémunèrent leur personnel en numéraire.
Le réseau des comptes d’épargne postale est presque aussi étendu que le réseau bancaire, et sa répartition est bien plus homogène sur l’ensemble du territoire national. Avec 1 051 agences en 2014, il joue un rôle de premier plan dans l’inclusion financière. Mais il ne compte que 178 distributeurs automatiques, et un quart des agences ne sont pas reliées à un serveur central ; de plus, elles ont des horaires d’ouverture relativement restreints et imposent des montants minimum. Ce réseau ne se prête donc guère à la micro-épargne, qui nécessite le dépôt de très petites sommes et des retraits réguliers. Plus de la moitié des 5,5 millions de comptes postaux n’ont enregistré aucun mouvement (c’est-à-dire aucune opération) sur les deux dernières années ou plus.
En 2011, une réforme législative a jeté les bases du développement du secteur de la microfinance en autorisant l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché, tels que des associations ou des sociétés à responsabilité limitée, et en créant une instance de régulation moderne (l’autorité de contrôle de la microfinance). Sur les 12 derniers mois, quatre de ces nouveaux prestataires ont obtenu une licence (Taysir, Microcred Tunisie, Advans Tunisia et le Centre financier aux entrepreneurs). Étant donné leur expansion, les organismes de microfinancement sont appelés à jouer un rôle important dans l’inclusion financière en Tunisie.
Les autres prestataires de services financiers, dont les sociétés de crédit-bail et les sociétés d’assurance, sont encore quasiment inexistants en Tunisie. Les primes des compagnies d’assurance représentent encore moins de 2 % du PIB du pays. En revanche, la finance numérique, prestation de services financiers grâce à des moyens électroniques, gagne du terrain depuis quelques années. Elle propose actuellement quatre types de produits, mais qui, en l’absence d’interopérabilité et d’une vaste offre de services connexes, peinent à décoller. À ce jour, moins de 4 % des Tunisiens utilisent des services financiers mobiles.
L’inclusion financière devrait nettement progresser en Tunisie. Le pays devra toutefois surmonter un certain nombre d’obstacles structurels à court terme. Au-delà de l’essor du microcrédit, l’expansion de l’épargne, de la micro-assurance et des services de paiement nécessite :
- de trouver une institution de haut niveau pour promouvoir l’inclusion financière ;
- de coordonner les différentes composantes d’une stratégie nationale axée sur l’inclusion financière ;
- de réaliser une étude détaillée pour produire des données à jour, et représentatives au niveau national, sur les caractéristiques du marché ;
- de préciser le rôle des différents acteurs du marché, publics et privés (la Poste tunisienne, les banques, les organismes de microfinancement, les opérateurs des réseaux mobiles, entre autres) ;
- et, enfin, de mettre en place un solide réseau de protection des consommateurs, de façon à maîtriser la croissance du secteur et de relever les défis à venir.
L’inclusion financière peut être un mécanisme important pour encourager la croissance économique et améliorer les conditions de vie des Tunisiens pauvres. Pour qu’elle progresse, il faudra que les acteurs publics et privés travaillent ensemble, au lieu de défendre uniquement leurs intérêts, afin qu’une action concertée permette la poursuite des réformes. Étant donné les récentes réformes du microfinancement, l’essor de l’épargne postale et les nouvelles opportunités d’expansion de la finance numérique en Tunisie, ce pays peut devenir un exemple pour ses voisins, avec, à la clé, des perspectives très prometteuses pour le développement de la microfinance.
-----------------------------------
[1] L’étude Findex, réalisée par la Banque mondiale avec le concours financier de la Fondation Gates, s’appuie sur des enquêtes représentatives de la population, qui couvrent 148 pays, et sur une série d’indicateurs relatifs à l’utilisation des services financiers.