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Le projet des Grands Lacs entend aider les commerçants africains à se rapprocher des marchés

25 septembre 2015


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LES POINTS MARQUANTS
  • Dans la région des Grands Lacs, en Afrique, les petits commerçants — dont une majorité sont des femmes — sont souvent la cible d’extorsion et de harcèlement physique aux frontières.
  • La corruption et l’inefficacité des procédures pénalisent les familles pauvres et entravent la croissance économique dans cette région en proie aux conflits.
  • Un projet soutenu par la Banque mondiale veut faciliter la circulation des marchandises et des services et limiter les risques courus par les petits commerçants surtout quand il s’agit de femmes.

WASHINGTON, 25 septembre 2015 — Penchons-nous un instant sur le quotidien d’un petit commerçant de la région des Grands Lacs en Afrique. Ou plutôt d’une commerçante, car il y a de fortes chances qu’il s’agisse d’une femme.

Avec sa famille, celle-ci exploite une petite ferme située à proximité d’une frontière. Sur son dos, en équilibre sur sa tête ou éventuellement dans une charrette ou un petit véhicule, elle transporte les produits de sa ferme jusqu’à un poste frontière dans l’espoir d’aller les vendre de l’autre côté de la barrière. Elle connaît par cœur le scénario qui l’attend : les agents de plusieurs agences officielles (une dizaine ou plus), qu’elles soient locales, régionales ou nationales, de part et d’autre de la ligne de démarcation vont vouloir inspecter sa cargaison et, éventuellement, procéder à une fouille au corps. Elle comprendra alors, via des signes plus ou moins subtils, qu’elle va devoir graisser la patte à un ou plusieurs de ces agents si elle veut acheminer ses produits jusqu’au marché.

Il peut s’agir de quelques œufs ou d’un régime de bananes (imaginez la quantité d’œufs récupérés en fin de journée, chaque fois qu’un commerçant passe…). Qu’elle résiste un tant soit peu – et même si elle se laisse faire —, elle peut devenir la cible d’un harcèlement verbal ou physique, en se voyant imposer par exemple une fouille corporelle humiliante par des hommes.

Pendant ce temps, ses marchandises — qui constituent la principale source de revenus pour cette famille très modeste — sont abandonnées dans la poussière et sous le soleil brûlant de l’Équateur et risquent de s’abîmer avant même d’atteindre le moindre marché. Aucun entrepôt ne permet de stocker ses produits en attendant le feu vert des douaniers. Et même lorsqu’elle franchira enfin la frontière avec ses produits, pour peu que ceux-ci soient encore vendables, la route jusqu’au marché sera encore longue.

Les commerçants les plus chanceux, qui n’ont que de faibles distances à parcourir, peuvent franchir la frontière plusieurs fois dans la journée mais, à chaque fois, ils doivent affronter les risques physiques et financiers inhérents à l’exercice de cette profession dans la région.

Un nouveau projet pour rationaliser le commerce transfrontalier

Au cœur de l’initiative lancée par la Banque mondiale et les autorités d’Ouganda, de République démocratique du Congo (RDC), et du Rwanda, la volonté de s’atteler à ces risques quotidiens et, dans le même temps, de soutenir l’économie de la région, en plein essor. Mis en œuvre en coopération avec le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), le Projet de facilitation des échanges commerciaux dans la région des Grands Lacs a pour objectif de remédier aux blocages logistiques et administratifs aux postes frontières surchargés. Il cherche également à réduire la corruption et le harcèlement des commerçants, surtout quand ce sont des femmes, doper les économies locales et régionales et réduire la pauvreté.

Le projet comportera deux étapes, avec une première phase de dons et de crédits (pour une enveloppe totale de 79 millions de dollars) en faveur de l’Ouganda, de la RDC et du Rwanda, et une seconde phase (totalisant 61 millions de dollars) en faveur du Burundi, de la RDC, de la Tanzanie et de la Zambie.

« La région des Grands Lacs a cruellement besoin des retombées économiques de ce projet, et en particulier les quelque 20 à 30 000 petits commerçants qui franchissent quotidiennement la frontière entre la RDC et le Rwanda », souligne Paul Brenton, l’un des chefs d’équipe du projet à la Banque mondiale.

« Le commerce entretient la solidarité entre les communautés et améliore les moyens de subsistance, ce qui permet de réduire les risques de conflit », ajoute Shiho Nagaki, autre chef d’équipe.

Le projet mènera de front des améliorations matérielles et logistiques au niveau des frontières et des installations avec des réformes des politiques et des procédures et des opérations de renforcement des capacités. Il est ainsi prévu de financer la construction d’abris pour les commerçants qui font la queue aux frontières, d’installer des tourniquets automatiques pour accélérer le franchissement de la frontière et réduire les contacts physiques (et partant le harcèlement de la part des officiels), de former les douaniers au respect de l’égalité hommes-femmes et d’imposer les fouilles de femmes par des personnes du même sexe.

Tout cela vise à améliorer l’efficience, les capacités et la sécurité des opérations de plusieurs postes frontières qui jouent un rôle essentiel pour connecter les économies de ces pays, améliorant ainsi la santé économique de la région.


« Les comportements grossiers et le harcèlement sont monnaie courante à la frontière. Les agents cherchent seulement à se faire de l’argent. Il faut constamment discuter et négocier.  »

Maman Bahati

Commerçante congolaise

Le commerce est la clé qui aidera les pays des Grands Lacs à tourner la page des conflits

La région des Grands Lacs, qui englobe les pays riverains des lacs Albert, Edward, Kivu, Victoria, Tanganyika et Nyasa, émerge de longues années de conflit qui ont exacerbé l’extrême pauvreté et déplacé des millions de personnes.

La situation s’apaisant, la croissance économique redémarre avec vigueur, forte de l’immense potentiel de cette région richement dotée en minerais et en terres arables — sans parler d’un patrimoine naturel d’une beauté à couper le souffle. Le Rwanda a ainsi affiché une croissance moyenne de 8,2 % entre 2001 et 2011, tandis que le taux de pauvreté reculait de 59 à 45 %. Les districts les plus dynamiques sont les régions frontalières avec l’Ouganda, la RDC et le Burundi. En Ouganda, la part de la population vivant sous le seuil officiel de pauvreté est passé de 56 % au début des années 1990 à 19 % en 2014.

Selon une enquête récente cependant, la persistance de l’inefficacité et de la corruption aux frontières entrave sérieusement l’activité régionale, surtout celle des petits commerçants dont huit sur dix sont des femmes. Aux postes frontières fourmillants d’activité comme Kasindi et Mpondwe, entre la RDC et l’Ouganda, ou Goma et Rubavu, entre la RDC et le Rwanda, les agents sous-payés doivent trouver des solutions pour survivre.

« Les comportements déplacés et le harcèlement sont monnaie courante à la frontière », explique Maman Bahati, une commerçante congolaise. « Les agents cherchent seulement à se faire de l’argent. Il faut constamment discuter et négocier. Face à de tels comportements, certaines femmes n’ont d’autre choix que de passer la frontière clandestinement, pour échapper à tout cela. »

La corruption aux frontières n’est pas l’apanage des agents… Mama Chantal, une Rwandaise qui vend des haricots verts, raconte comment des agents non officiels les malmènent régulièrement : « ils arpentent les rues proches de la frontière et dès qu’ils nous repèrent, avec nos marchandises, ils nous attrapent par un sac ou nos vêtements et réclament le versement d’argent pour des taxes. Si vous refusez, ils vous embarquent un peu plus loin et font tout pour vous intimider. »

L’essentiel des transactions commerciales aux frontières sont de petite envergure, effectuées par des individus qui transportent leurs marchandises à pied. Il s’agit en général de produits issus de l’agriculture. Ce sont le plus souvent des échanges « informels », c’est-à-dire légaux mais non consignés dans les registres douaniers. De sorte que le projet, d’une durée de sept ans, entend bénéficier à certains des groupes les plus pauvres et vulnérables de la région des Grands Lacs.

Les solutions pour faciliter le quotidien de ces commerçants ne sont pas forcément complexes : s’assurer que ce soient des femmes qui fouillent les femmes ; fournir des récépissés officiels une fois les droits de douane acquittés ; ou permettre aux commerçants de porter plainte pour harcèlement ou corruption auprès d’un organisme fiable.

La collecte de données sur le délai moyen nécessaire pour que les marchandises franchissent la frontière ainsi que sur la valeur et le volume de biens circulant d’un pays à l’autre, l’incidence du harcèlement sur les commerçants, surtout les femmes, et l’opinion des commerçants quant à la qualité des prestations des services frontaliers permettra de mesurer la réussite du projet.

Collaboration avec le COMESA

Le projet aidera le COMESA à introduire des réglementations et des procédures de traitement des petits commerçants frontaliers, avec notamment la mise en place d’un numéro vert pour porter plainte, la simplification des contrôles d’immigration et sanitaires, un accès rationalisé au fret aérien et l’octroi d’une franchise de droits pour certains produits définis. Ces améliorations, conjuguées à la modernisation des installations aux frontières et des modifications aussi simples que de créer une voie réservée aux piétons, bénéficieront certes aux commerçants mais aussi aux gouvernements nationaux, qui verront leurs recettes augmenter.

« Le Projet de facilitation des échanges commerciaux dans la région des Grands Lacs consiste à libérer le potentiel économique des petits commerçants qui jouent un rôle vital pour l’économie régionale »,  explique Sindiso Ngwenya, secrétaire général du COMESA. « Des études ont montré que plus de 30 % du commerce transfrontalier existant dans la région ciblée par le projet est généré par de petits commerçants informels, en particuliers des femmes et des jeunes. Cette intervention est donc cruciale en vue de faciliter et de fluidifier le commerce transfrontalier. Le COMESA est confiant quant à l’issue positive de ce partenariat avec la Banque mondiale et l’importance de son impact sur l’économie. »

Le projet prévoit entre autres le développement de marchés régionaux à proximité des postes frontières, pour permettre aux petits commerçants, notamment ceux qui se déplacent à pied, d’écouler rapidement leurs marchandises et d’effectuer plusieurs rotations par jour, ce qui aidera les plus pauvres à s’enrichir.

« Nous vérifierons si la situation s’améliore effectivement pour ces hommes et ces femmes et si ceux-ci parviennent à acheminer leurs marchandises à travers les frontières plus vite qu’avant et en rencontrant moins de difficultés », indique Charles Kunaka, co-chef d’équipe du projet à la Banque mondiale. « Ce que nous visons, à terme, c’est une hausse du volume quotidien d’échanges, des bénéfices et des revenus des commerçants mais aussi une augmentation des recettes et un meilleur contrôle pour les gouvernements. »


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