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Les effets à venir du changement climatique sont déjà visibles au Yémen

24 novembre 2014


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Habitants s’approvisionnant  en eau aux bornes-fontaines publiques. Sanaia, Yemen 

Foad Al Harazi / World Bank

LES POINTS MARQUANTS
  • Les pénuries d’eau que connaît le Yémen sont un avant-goût de ce que qui attend probablement la région Moyen-Orient et Afrique du Nord.
  • Selon un nouveau rapport de la Banque mondiale, la région tout entière deviendra à la fois plus chaude et plus aride si les tendances actuelles se maintiennent.
  • Le raccourcissement des saisons végétatives menace la sécurité alimentaire, et la compétition pour les ressources naturelles en voie de raréfaction pourrait augmenter les conflits.

Les sources naturelles d’eau douce et propre qui coulent  depuis toujours dans les profondeurs du sol yéménite sont en train de se tarir. Le rythme d’épuisement des réserves est plus rapide que celui de leur reconstitution. Dans les régions montagneuses densément peuplées autour des villes de Sanaa, Taïz, Dhamar, Amran et Saada, le niveau des eaux souterraines recule de six mètres par an. Les Yéménites estiment comparables la quantité d’eau consommée aujourd’hui et les volumes nécessaires à dix générations futures.


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La corvée d’eau incombe essentiellement aux femmes.


« Ici, comme nous n’avons pas l’eau courante, nous pouvons perdre jusqu’à 5 heures par jour pour aller en chercher. De plus, nos récoltes dépérissent parce que la pluie ne vient pas.  »

Hajjah Zuhra

D’une tribu du djebel Haraz, à l’ouest de Sanaa


Cette situation n’est qu’un avant-goût de ce qui attend les autres pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA), où le changement climatique et la croissance démographique rapide exercent des pressions grandissantes sur les ressources de base vitales,  telle que l’eau. La population yéménite doit déjà se contenter de 86 m3 d’eau provenant de sources renouvelables, par personne et par an. D’autres pays sont encore moins bien lotis mais le Yémen étant un pays très pauvre, l’adaptation y est plus difficile.

À Sanaa et Taïz, les ménages ne sont alimentés en eau courante qu’une fois par semaine, dans le meilleur des cas. Le reste du temps, ils doivent acheter leur eau et le coût est très élevé pour un salaire modeste.  Ailleurs, s’approvisionner en eau est une corvée quotidienne, au sens propre du terme : « Ici, comme nous n’avons pas l’eau courante, nous pouvons perdre jusqu’à 5 heures par jour pour aller en chercher », explique Hajjah Zuhra, d’une tribu du djebel Haraz, à l’ouest de Sanaa. « De plus, nos récoltes dépérissent, faute de pluie. » Dans certaines villes des hauts plateaux, la municipalité ne délivre parfois que 30 litres d’eau par personne et par jour.

Grâce à des données sur le climat, un nouveau rapport de la Banque mondiale, intitulé Baissons la chaleur: Face à la nouvelle norme climatique, examine différents scénarios basés sur une poursuite du réchauffement planétaire au rythme actuel. Pour Jim Yong Kim, le président du Groupe de la Banque mondiale, ce rapport vient confirmer ce que les scientifiques affirment depuis le début : les émissions que nous avons rejetées dans l’atmosphère rendent ce réchauffement inéluctable. Tous les pays situés au nord du 25e parallèle sont condamnés à devenir plus arides. Cela concerne le Liban, la Cisjordanie et Gaza, la Syrie, l’Iraq et l’Iran et, pour une bonne partie de leurs territoires, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye et l’Égypte. Autrement dit, pratiquement tous les pays de la région MENA.

La sécurité alimentaire risque d’en pâtir, ce qui conduira la région à importer davantage de céréales. En Tunisie, la saison de croissance du blé sera plus courte : de deux semaines environ avec une hausse de 2 °C et d’un mois environ dans le cas d’une hausse de 4 °C. À la fin de ce siècle, les agriculteurs de la plupart des pays du Maghreb et du Machrek devront déplacer leurs exploitations de 75 km vers le nord.

Plus il y a de gens sur terre, moins il y a d’eau.

La population de la région MENA, estimée à 355 millions d’habitants, devrait doubler d’ici 2050. Avec 24 millions d’habitants, le Yémen n’est pas particulièrement peuplé, mais la situation évolue rapidement. D’autant que la culture du qat (dont les feuilles mâchées dégagent une légère substance psychotrope) est gourmande en eau. Selon les estimations, la consommation globale aurait atteint 3,9 milliards de m3 en 2010, pour des ressources renouvelables de 2,5 milliards.

Le déficit de 1,4 milliard de m3 est comblé par l’eau pompée grâce à des puits tubés ou des forages modernes, qui assèchent les réserves souterraines. En milieu rural, la tension monte lorsque les puits sont à sec, pouvant dégénérer en conflits localisés. Les mouvements massifs de populations chassées par la pénurie d’eau alimentent les migrations et le risque de conflits moins circonscrits. La menace que représentent les crues soudaines est d’autant plus forte que les zones sont densément peuplées, surtout dans les quartiers urbains défavorisés.

La culture du qat n’a fait qu’exacerber les problèmes d’eau au Yémen. Les plantations occupent 38 % des zones irriguées du pays sachant que, dans certains endroits, des cultures vivrières sont arrachées pour faire place à cet arbuste. Depuis 1970, les surfaces irriguées ont été multipliées par 15  tandis que l’agriculture pluviale a reculé de quelque 30 %. À cause des pénuries d’eau, plus de la moitié des investissements consentis dans les zones rurales du Yémen ne dépassent pas le cap des 5 ans.

Les autorités yéménites se sont efforcées d’introduire un cadre moderne de gouvernance de l’eau. De fait, la gestion de l’eau est la responsabilité de centaines de milliers de ménages farouchement indépendants et les approches réglementaires descendantes n’ont guère fait d’émules. Les approches pilotées par les communautés rencontrent plus de succès, avec constitution d’associations pour réclamer des services de meilleure qualité et protéger les sources locales de la pollution.

Des phénomènes climatiques toujours plus extrêmes

Parce qu’il se situe au sud du 25e parallèle, le Yémen pourrait bien devenir plus humide sous l’effet du réchauffement climatique. Mais l’augmentation des précipitations peut s’accompagner de phénomènes plus violents, comme les tempêtes de type mousson en provenance du golfe d’Aden. En 2008, les inondations qui ont frappé l’intérieur des terres dans le sud-est du pays ont provoqué des dégâts et des pertes évalués à 1,6 milliard de dollars, soit 6 % du PIB national. Dans un monde plus chaud de 2 °C, les vagues de chaleur pourraient toucher les zones côtières de faible altitude au Yémen, à Djibouti et en Égypte. L’eau de mer s’infiltre dans les aquifères d’eau douce du littoral, rendant l’eau saumâtre et le sol impropre aux cultures.

Les scientifiques estiment pourtant qu’en prenant dès maintenant des dispositions adéquates, nous pourrons faire la différence. « La bonne nouvelle, c’est que nous pouvons agir pour ralentir le changement climatique et favoriser la croissance économique et, en dernier ressort, éviter de nous engager dans une trajectoire dangereuse », souligne Jim Yong Kim. Selon lui, les dirigeants du monde entier doivent dès maintenant opter pour des solutions accessibles, comme la tarification du carbone qui permet d’augmenter les investissements dans des transports publics propres, les énergies vertes et des lieux de travail éconergétiques.


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