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La situation des femmes Jordanie : une participation économique limitée et des inégalités qu'elles continuent de subir

17 avril 2014


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LES POINTS MARQUANTS
  • En Jordanie, les femmes vivent plus longtemps qu’auparavant, mais restent encore loin derrière les hommes en matière d’emploi
  • Toute une série de discriminations — sur le marché de l’emploi, au niveau des normes sociales et dans le domaine juridique — entrave la vie des Jordaniennes
  • Un nouveau rapport préconise les actions à mener pour combler l’écart entre les hommes et les femmes

La Jordanie affiche des résultats remarquables sur le plan de l’égalité entre les sexes dans les secteurs de la santé et de l’éducation. Mais, alors que l’espérance de vie des femmes, leur degré d’alphabétisation et leur scolarisation à tous les niveaux du système éducatif se sont considérablement améliorés, ces progrès ne se sont pas accompagnés d’une amélioration de leur participation à la vie économique ni de leur capacité d’action.

Un nouveau rapport du Groupe de la Banque mondiale, intitulé en anglais Economic Participation, Agency and Access to Justice et consacré à la situation des femmes en Jordanie, se penche sur cette question essentielle, en soulignant que les avancées féminines sur le front du développement humain doivent encore se traduire en autant d’améliorations sur le plan de la participation sociale, économique et politique.

Lors d’une série d’ateliers organisés en Jordanie pour faire connaître ce rapport, les participants ont mis l’accent sur l’importance des freins qui s’opposent au travail des femmes.

« L’accueil des enfants avant leur entrée à l’école coûte cher, les aides à domicile aussi, et il n’y a pas de transports publics. Si vous ajoutez à cela le fait que le salaire mensuel minimum se situe à 190 dinars jordaniens [270 dollars], il est logique que les femmes se sentent économiquement incitées à rester à la maison », a expliqué Asma Khader, sénatrice et figure de proue de la défense des droits de la femme en Jordanie, lors de l’atelier qui s’est tenu à Amman le 10 mars dernier.

D’autres participants ont aussi fait observer que ces freins poussent les femmes à effectuer des travaux non déclarés chez elles, ce qui a des retombées négatives sur le plan de l’économie du pays, puisque ces activités échappent à l’impôt.

Ce ne sont là que quelques-uns des obstacles qui découragent les Jordaniennes de prendre part à l’économie formelle. Leur participation au marché du travail n’est que de 22 %, contre 87 % pour les hommes. La probabilité d’avoir une vie active est particulièrement faible chez les femmes mariées. Les Jordaniennes jeunes et éduquées, prêtes à s’insérer sur le marché du travail, se heurtent à des niveaux de chômage élevés. Il existe, dans la structure économique de l’emploi, des présupposés sexistes qui ont une incidence négative sur la participation des femmes à l’économie.

La Jordanie possède en effet un marché de l’emploi fortement segmenté, où les rares opportunités pour les femmes sont cantonnées à la fonction publique, en particulier dans les secteurs de la santé et de l’éducation. Or ces secteurs n’ont pas connu de progression importante en termes de création de postes ces dernières décennies, et les femmes n’ont pas profité des taux de croissance supérieurs observés en général dans le pays.

Il apparaît que les obstacles à la participation des femmes dans l’économie trouvent leur origine dans l’éducation, et qu’ils sont aggravés par le manque d’incitations économiques. On observe encore de nos jours un décalage flagrant entre le type de compétences que les femmes acquièrent et celles demandées par les employeurs, en particulier dans le secteur privé.

Amneh Khasawneh, qui dirige le Centre d’études sur les femmes de la princesse Basma à l’université de Yarmouk, dans le gouvernorat d’Irbid, au nord de la Jordanie, a animé un atelier spécifiquement consacré à cette question. Certes, le taux d’alphabétisation des femmes en Jordanie atteint 99 %, soit le plus élevé de la région, a-t-elle indiqué, mais « le problème essentiel pour elles est celui du décalage entre leurs études et les besoins du marché du travail ». 


« Des obstacles empêchent les Jordaniennes d’accéder à une justice qui pourrait leur permettre de contester des pratiques discriminatoires.  »

Et d’ajouter que le pays ne manque guère d’études et d’enquêtes montrant comment l’on pourrait améliorer l’intégration des femmes dans l’économie. Le souci est que ces matériaux sont dispersés et qu’ils n’ont pas nourri une stratégie d’ensemble. L’année dernière, sous la supervision de la sénatrice Asma Khader, la Commission nationale pour les femmes a rédigé une stratégie de refonte législative portant notamment sur le code civil et destiné à renforcer les droits des femmes. Le gouvernement n’a toutefois pas alloué de budget à la mise en œuvre de cette refonte.

Le décalage entre les études et le marché de l’emploi encourage les femmes à rechercher du travail dans le secteur public, ces emplois étant jugés socialement plus acceptables et compatibles avec les responsabilités familiales qui incombent aux femmes (s’occuper des enfants, par exemple). À ces facteurs s’ajoutent en outre la persistance de restrictions d’ordre juridique et social qui limitent les femmes et l’absence de politiques efficaces pour promouvoir l’insertion et de la participation féminines dans la vie économique.

Malgré des progrès récents, la capacité d’action des femmes — ou encore leur « puissance d’agir », ce terme recouvrant le fait d’être en capacité de prendre des décisions en ce qui concerne le contrôle des ressources économiques, de la vie familiale et personnelle, ainsi que sur les plans social et politique — reste limitée sous l’effet conjugué de lois et de normes sociales discriminatoires, celles-ci contribuant d’ailleurs à restreindre les droits pourtant garantis par la loi. Les hommes demeurent socialement maîtres des biens économiques, qu’il s’agisse de la propriété foncière, des comptes bancaires ou encore de l’accès au crédit. Ce sont souvent eux qui perçoivent les prestations familiales dans la mesure où celles-ci sont rattachées à leurs salaires ou pensions et, si elles veulent pouvoir y accéder, les femmes sont contraintes de recourir à des procédures administratives ou judiciaires complexes.

En dépit de réformes récentes, c’est dans le domaine de la vie familiale et personnelle que perdurent les principales disparités juridiques entre hommes et femmes. Ces inégalités concernent des aspects liés au statut de chef de famille, aux procédures de mariage et de divorce, à la succession ou encore à la garde des enfants. Les femmes doivent souvent avoir un tuteur masculin pour effectuer des opérations de base et elles ne peuvent pas transmettre leur nationalité au même titre que les hommes.

Cependant, sur le plan de la participation à la vie politique, la Jordanie affiche des progrès réguliers. L’instauration de quotas a permis d’augmenter la représentation féminine dans les assemblées élues, tout particulièrement au niveau local. Mais les niveaux atteints demeurent faibles au regard des normes mondiales. La participation des femmes dans les associations professionnelles a également progressé, même si les femmes tendent à rester confinées à des postes subalternes et dans des secteurs favorables au travail féminin.

Enfin, les Jordaniennes doivent également faire face à des obstacles spécifiques dans l’accès à la justice, bien qu’elles connaissent leurs droits aussi bien que les hommes. Les services judiciaires, tels que ceux dispensés par les tribunaux, pourraient permettre aux femmes de faire valoir leurs droits contre des pratiques abusives ou discriminatoires. Or les femmes ont moins de chances d’utiliser ces tribunaux par manque de ressources financières mais aussi par crainte du jugement d’autrui. Elles risquent aussi d’être davantage affectées par les différends relatifs au statut personnel (divorce, pension alimentaire pour elles-mêmes ou leurs enfants), dans la mesure où les services d’aide juridique sont moins développés en la matière, ce qui a pour effet de nuire encore plus fortement aux femmes pauvres.

Le rapport souligne la nécessité d’élargir les opportunités économiques pour les femmes et de combler les écarts qui les séparent des hommes en matière de justice et de capacité d’action, ces questions faisant l’objet des concertations que la Banque mondiale continue de mener avec les autorités et les organisations de la société civile. Ses recommandations sont les suivantes :

  • L’introduction de politiques visant à réduire la ségrégation des emplois féminins et masculins ;
  • La suppression des barrières qui empêchent les femmes de travailler dans des secteurs à forte productivité ;
  • La promotion de l’essor de secteurs favorables au travail féminin et l’élargissement de l’éventail de secteurs « convenables » pour les femmes ;
  • La réforme du système éducatif afin de mieux répondre aux signaux du marché et doter les jeunes femmes des compétences exigées par le secteur privé ;
  • Le soutien à l’emploi féminin afin de réduire les coûts supplémentaires, réels ou perçus, associés au recrutement de femmes ;
  • L’élaboration de politiques destinées à dissiper les préjugés et faire évoluer les normes sociales entravant l’emploi des femmes ;
  • La suppression des barrières réglementaires et la simplification de l’accès au crédit pour les femmes entrepreneurs. 

La puissance d’agir et l’accès à la justice pourraient être améliorés :

  • En réformant les cadres juridiques régissant les questions familiales et d’emploi afin de promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes ;
  • En fournissant aux femmes et aux hommes les mêmes aides financières pour le soutien familial ;
  • En veillant à ce que les amendements apportés à la législation soient mis en œuvre afin d’améliorer la capacité d’action des femmes en matière de contrôle des ressources économiques et de vie familiale et personnelle ;
  • En expérimentant des dispositifs qui améliorent la participation des femmes dans les organismes publics et les associations professionnelles ;
  • En adaptant les services juridiques de manière à mieux répondre aux demandes et besoins des femmes, et en particulier ceux des femmes pauvres, qui sont les plus pénalisées par le système.


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