CHREY, Cambodge – Pour Ruon Vannoy, 14 ans, qui habite dans ce village du Nord-ouest du Cambodge, c’est pratiquement la même routine tous les matins : après avoir expédié les tâches ménagères, la jeune fille enfourche son vélo pour se rendre au lycée Svay Thom. Là, elle se faufile dans sa classe, ouvre son cahier et attend que le cours de littérature khmère, sa matière préférée, démarre.
Ce n’a pas été des plus faciles d’accéder à cette classe, bondée, de 9e année. Deuxième enfant d’une famille de quatre, elle est la seule à aller à l’école. Les deux plus jeunes, handicapés, ne sont pas scolarisés et sa sœur aînée a décroché.
Grâce au programme de bourses d’études secondaires, mis en place par les autorités cambodgiennes afin d’aider les enfants issus de familles pauvres comme la sienne, Ruon Vannoy a reçu en début d’année une allocation de 45 dollars. Soutenu au départ par le Projet d’appui au secteur de l’éducation de la Banque mondiale, le programme est géré par le gouvernement cambodgien depuis 2010.
Des bourses qui améliorent la scolarisation
Dès le lancement du programme, en 2005, un système d’évaluation d’impact a été introduit pour mesurer l’effet de ces bourses sur la scolarisation et voir si une allocation de 45 dollars serait aussi efficace qu’une allocation de 60 dollars. Soutenue par le Fonds d’évaluation d’impact stratégique (SIEF) de la Banque mondiale, cette évaluation a montré que les élèves boursiers avaient plus de chances de rester scolarisés : leur taux de scolarisation est passé à 80 %, contre à peine 60 % chez les élèves non boursiers. Elle a aussi révélé que le montant de la bourse n’influençait en rien l’efficacité du dispositif.
« Nous ne nous attendions pas à un tel résultat », reconnaît Simeth Beng, spécialiste de l’éducation à la Banque mondiale pour le Cambodge qui travaille sur ce programme. Les autorités ont alors décidé d’étendre le dispositif et, cette année, près de 56 000 élèves supplémentaires – dont Ruon Vannoy – ont reçu une bourse de 45 dollars. Le gouvernement a également lancé, à titre d’essai, des bourses en primaire et des bourses au mérite, censées améliorer la qualité des apprentissages.
Pour Nath Bunroeun, secrétaire d’État au ministère de l’Éducation, de la jeunesse et des sports du Cambodge, l’évaluation a permis de comprendre « ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas et ce qui doit être amélioré ».
De l’argent pour les uniformes et les manuels
Si la scolarité est gratuite au Cambodge, les élèves doivent acheter leurs uniformes, leurs manuels et leurs cahiers. Par ailleurs, bon nombre de familles pauvres n’ont pas de moyens de transport à leur disposition pour permettre à leurs enfants d’aller tous les jours à l’école. La famille de Ruon Vannoy a utilisé l’argent de la bourse pour acheter l’uniforme et les livres et, de temps en temps, un encas pendant la journée. « Aux récréations, les enfants pauvres restent dans les salles de cours pendant que leurs camarades s’achètent à manger, même si eux aussi aimeraient bien faire la même chose », explique Naing Haun, directeur du lycée Svay Thom. « Mortifiés, ils ont tendance à abandonner l’école ».
Les difficultés de la famille de Ruon Vannoy n’ont malheureusement rien d’exceptionnel dans un pays où plus de 20 % de la population vivent avec moins de 1,25 dollar par jour. Son père travaille comme ouvrier du bâtiment et sa mère comme cuisinière dans un bâtiment municipal près de la maison. Ils consacrent en priorité leurs salaires à l’achat de denrées de base, comme le riz. « J’espère que ma fille pourra faire des études supérieures et trouver un emploi pour nous aider », indique sa mère, Voeun Vanna.
Les espoirs de familles entières
Au début de l’année, Ruon Vanneth, la sœur aînée (16 ans), a été obligée d’abandonner l’école, faute d’avoir obtenu une bourse. « J’aimerais bien que l’on m’aide à reprendre mes études », espère-t-elle. Comme sa cadette, elle appréciait la littérature khmère, mais sa matière favorite, c’était la chimie : « Je suis déçue de ne pas pouvoir continuer. Si je n’ai pas fait 12 années d’études, je vais avoir du mal à décrocher un emploi ».
L’une des camarades de classe de Ruon Vannoy, elle aussi boursière, passe la plupart de ses après-midi dans les rizières, à côté de chez elle. « Le problème, pour moi et ma communauté, c’est la pauvreté », explique Som Rachna pendant une courte pause, à l’ombre d’un arbre. Les jours où elle ne travaille pas dans les champs, elle se rend à pied dans la forêt (4 km aller-retour) pour ramasser des pommes de terre sauvages et des sloek bas (des feuilles vertes utilisées pour la cuisine) qu’elle vend ensuite au marché. À tout juste 15 ans, elle contribue déjà à nourrir sa famille. Sa mère, Som Him, qui n’avait pu faire que 4 ans d’études, est fière de son aînée. Elle rêve de la voir devenir enseignante : « C’est dur, mais nous soutiendrons Som Rachna jusqu’à ce qu’elle finisse sa 12e année », affirme-t-elle. « Tous nos espoirs reposent sur elle ».