Q : Les photos satellite nous montrent que, depuis les années 1960, le lac Tchad se réduit comme peau de chagrin, alors que 30 millions de personnes sont tributaires de ce bassin hydrographique. Pouvez-vous nous dire ce que vous avez constaté lors de votre visite au lac Tchad et dans ses environs ?
R : Mes premières impressions on été confirmées : le désert gagne du terrain sur ce qui constituait jadis l’une des principales étendues d’eau en Afrique. Comme vous le savez, les dernières données font état d’un effondrement de 90 % du niveau de l’eau par rapport à 1960. Dans le même temps, la superficie du lac est passée de 25 000 km2 à 1 350 km2 environ.
Les changements climatiques, qui ont provoqué des sécheresses répétées et une baisse des précipitations, ont contribué à ce déclin.
Le lac Tchad n’en reste pas moins une source vitale au cœur des immenses terres arides du Sahel. Les populations riveraines subissent les effets de la régression du lac et de ses aquifères, comme le déclin avéré d’une végétation vivace qui renaissait autrefois chaque année. À cela s’ajoute la croissance démographique caractéristique de l’Afrique, qui a pour conséquence d’augmenter le nombre d’habitants tributaires de ressources hydriques et sylvicoles toujours plus rares.
Q : Vous avez dit que les enjeux autour du lac Tchad recouvrent de multiples aspects, et que toute avancée exige des différents acteurs qu’ils coopèrent afin de parvenir à des solutions efficaces. Quels sont les principaux obstacles à une coopération transfrontalière, et quels avantages pourraient en retirer les pays limitrophes ?
R : Beaucoup de grands bassins transfrontaliers dans le monde, à l’instar du lac Tchad, sont gérés à l’échelle nationale et de manière fragmentée, ce qui compromet l’approvisionnement alimentaire et les moyens d’existence de plusieurs milliards de personnes. Alors que le bassin du lac Tchad recouvre cinq pays et qu’il baigne des cultures et des appartenances ethniques diverses, le déclin de ses ressources a conduit à des crises humanitaires et des conflits sociaux dans la région. Certes, les tensions autour de ressources en eau partagées par plusieurs pays sont fréquentes, mais ce bien commun peut également servir à consolider des liens dans un même pays et par delà ses frontières, dans l’optique d’une coopération et d’une compréhension mutuelle.
Nous savons que le développement conjoint de ressources en eau partagées pérennise un bassin dans son ensemble. De fait, la Banque mondiale possède une vaste expérience en matière de gestion transfrontalière des ressources en eau, sur le continent africain et dans d’autres régions du monde. Divers projets ont été couronnés de succès, comme les activités dans le bassin du fleuve Niger, le bassin du fleuve Sénégal, le bassin du Nil, et plus récemment le fleuve Zambèze, en ce qui concerne l’Afrique. En Asie centrale, et plus particulièrement au Kazakhstan, l’aide de la Banque mondiale a permis de commencer à endiguer la disparition de la mer d’Aral et de retrouver des niveaux d’eau viables. Ce type d’expérience pourrait être utile au lac Tchad.
Nous sommes également conscients de la complexité d’une gestion de l’eau concertée. Cela vaut aussi pour le lac Tchad, où d’épineuses questions se posent au niveau sectoriel, national et régional, une situation qui exige des différents acteurs qu’ils coopèrent pour trouver des solutions. Les ministères de l’eau, de l’environnement et de l’agriculture devront travailler ensemble pour veiller à la coordination des politiques qui touchent aux ressources du lac. Les institutions nationales pourront également coopérer avec la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT), une organisation régionale qui comprend le Cameroun, le Tchad, la République centrafricaine, le Niger et le Nigéria, et a pour mandat de coordonner la gestion et le développement des ressources en eau du lac.
Q : Après votre visite et vos entretiens avec des représentants du gouvernement tchadien et de la CBLT, qu’avez-vous appris sur la façon dont la Banque mondiale peut accompagner le travail de reconstruction entrepris par les dirigeants des différents pays et l’amélioration de la gestion des ressources du bassin ?
R : Notre mission a cherché à mieux comprendre les priorités du gouvernement tchadien et de la CBLT face à l’assèchement du lac Tchad. Nous voulions voir si nous avions l’expertise suffisante pour soutenir un projet à financement mixte, s’appuyant sur le Fonds pour l’environnement mondial (FEM) et les ressources de la CBLT, et permettant à la fois de gérer les écosystèmes, de favoriser l’adaptation des populations locales au changement climatique et de promouvoir une gestion résiliente des ressources en eaux souterraines dans les secteurs de l’agriculture et de l’élevage.
Nous avons rencontré les responsables gouvernementaux tchadiens concernés, notamment ceux des ministères de l’environnement, de l’hydraulique rurale et urbaine, et du développement pastoral et des productions animales. Nous nous sommes également entretenus avec la CBLT. Et j’ai été ravi de constater que la plupart des responsables que nous avons rencontrés étaient heureux que la Banque mondiale aille au-devant des pouvoirs publics sur cette question cruciale.