ABIDJAN, le 6 août 2013- En Afrique, continent où la majorité de la population vit de l’agriculture, seules 18% des concessions agricoles sont détenues par des femmes. En Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao et de noix de cajou, les femmes, dans la majorité des cas, sont obligées de négocier des parcelles de terre auprès de leur famille ou de leur époux pour pouvoir cultiver des produits vivriers.
Alors que le pays se relève à peine d’une décennie de crises socio-politiques, les Ivoiriennes restent marginalisées et n’ont souvent pas accès aux services sociaux de base, constate un récent rapport de la Banque mondiale.
En milieu rural, 75% des femmes vivent en dessous du seuil de pauvreté. Et dans le monde de l’entreprise, les Ivoiriennes ne sont guère mieux loties. D’après les chiffres du centre de promotion de l’investissement en Côte d’Ivoire (CEPICI), entre janvier et mai 2013, sur les 800 entreprises enregistrées au cours de cette période, seules 15% étaient aux mains de femmes.
Quant à la scène politique, elle est dominée par les hommes alors même que les femmes constituent plus de la moitié de l’électorat (52%). Sur les 29 ministres siégeant au gouvernement, seulement cinq sont des femmes. À l’Assemblée nationale, seuls 10% des députés sont de sexe féminin.
Comment mettre fin aux pratiques discriminatoires dont sont victimes les femmes en Côte d’Ivoire ? Tel était le thème d’ateliers de consultations récemment organisés par la Banque mondiale à travers le pays. But de cette initiative? Donner la parole aux Ivoiriennes et offrir des solutions concrètes afin de promouvoir l’autonomisation des femmes alors que la Côte d’Ivoire ambitionne de devenir un pays émergent d’ici 2020.
Comme le soulignait Madani Tall, directeur des opérations de la Banque mondiale pour la Côte d’Ivoire, lors d’un discours réalisé à l’occasion du lancement de ces consultations, il s’agissait de « prendre en compte les aspirations légitimes des femmes dont le quotidien est lié à la réalité du terroir, ces femmes (…) qui ont non seulement des choses à dire mais également et surtout des choses à nous apprendre ».
Des ateliers ont été organisés autour de quatre thèmes : le poids des traditions, la place de la femme dans l’espace public, l’entrepreneuriat féminin et la lutte contre la violence à l’encontre des femmes (selon les statistiques du ministère de la Famille, de la femme et de l’enfant, pas moins de 36% des femmes en Côte d’Ivoire sont victimes de violences physiques ou psychologiques).
Au total, 376 femmes ont été consultées, toutes catégories socio-professionnelles confondues. Les hommes ont également été conviés à participer à ces discussions, notamment les chefs traditionnels et responsables religieux, ces derniers étant parfois perçus comme un frein à l’émancipation des femmes.
« Les consultations ont permis aux femmes des différentes régions du pays de se faire entendre, de partager leurs expériences et de faire connaître leurs aspirations », résume Félicité Essoua, présidente de la mutuelle des jeunes filles du Sanwi, qui a participé à l’atelier organisé dans le sud-est du pays.
Inégalité dans les faits
«Si l’égalité existe sur le papier ; dans les faits, la réalité est toute autre », explique la journaliste-écrivain Agnès Kraidy (ex rédactrice en chef du magazine Femme d’Afrique et du quotidien ivoirien Fraternité Matin) à laquelle la Banque mondiale avait confié la tâche de mener ces consultations et d’écrire un rapport sur le sujet.
« La Côte d’Ivoire a une constitution votée en 2000 qui proclame l’égalité de tous devant la loi et le parlement vient de voter une loi afin d’amender le code sur le mariage et abolir la notion de chef de famille. Reste que si les lois existent, elles ne sont pas souvent appliquées. Il faut donc passer de la théorie à l’action », ajoute la journaliste, qui milite sans relâche en faveur des droits de la femme.
Parmi les mesures concrètes proposées lors de ces ateliers, figurent la création des guichets uniques pour faciliter l’accès des femmes à la propriété foncière, la mise en place de mesures incitatives permettant de scolariser et maintenir les filles à l’école, le vote d’une loi sur la parité homme-femme dans tous les domaines, la création d’un centre de formation à l’entrepreneuriat féminin, ou encore la construction de centres d’accueil et cliniques juridiques pour les femmes victimes de violences. «Ce serait dommage que nos recommandations restent sans suite. La souffrance des femmes dans mon pays est réelle, surtout celles du monde rural », juge Dominique Loua, présidente de l’Union des femmes pour la lutte contre la pauvreté localisée à Biankouma, à l’ouest du pays.
Donner aux femmes les moyens de leur indépendance
Intitulé « Être femme en Côte d’Ivoire : quelles stratégies d’autonomisation ? », le rapport, né de ces consultations, a été remis au Premier ministre ivoirien en juin dernier. Quant à la Banque mondiale, elle s’est engagée à mettre l’égalité homme-femme au cœur de ses programmes de développement et a créé un laboratoire d’innovation sur le genre (le Gender Innovation Lab).
Selon Amah Marie Kouamé, présidente de l’Union des associations des déplacés retournés volontaires et victimes de guerre de la vallée du Bandama, région du centre du pays qui a été particulièrement affectée par les conflits, «nous ne pouvons que féliciter la Banque mondiale de nous avoir permis de réfléchir à notre avenir et de nous projeter dans une Côte d’Ivoire en paix. Pour nous les femmes qui avons tout perdu pendant la crise militaro-politique et qui avons dû fuir nos maisons et nos commerces, le retour n’a pas été facile ».
Et d’ajouter : «Pour les femmes de mon pays je souhaite que la Banque mondiale mette en place une structure de micro-finance pour que nous puissions mener des activités génératrices de revenus ». Selon elle, les Ivoiriennes n’ont pas besoin d’être assisté à condition qu’on leur donne les moyens d’être autonomes.