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Le défi de l’insertion des jeunes au Maroc

14 mai 2012


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Les jeunes Marocains représentent 30 % de la population du pays, et 10 % des jeunes de toute la région.

Arne Hoel l World Bank 2012

LES POINTS MARQUANTS
  • Les jeunes Marocains représentent 30 % de la population du pays, et 10 % des jeunes de toute la région.
  • Une étude récente révèle que 49 % des jeunes Marocains ne sont ni à l’école ni au travail.
  • Un nouveau rapport analyse les raisons de cette inactivité généralisée.

Aujourd’hui, la population des 15-29 ans dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) représente plus de 100 millions d’habitants, soit environ un tiers de la population totale. Cette poussée démographique de la jeunesse constitue à la fois une formidable chance et un immense défi. La jeunesse favorise généralement la croissance en stimulant l’innovation et la productivité. Cependant, seule une économie ouverte et dynamique peut créer les conditions nécessaires à l’expression de son potentiel. De nombreux pays de la région ne sont pas parvenus à réunir ces conditions, malgré des taux de croissance élevés au cours des dix dernières années. Le potentiel de la jeunesse a alors progressivement laissé place à un sentiment de frustration, que le « Printemps arabe » a parfaitement mis en lumière : les jeunes en ont assez d’attendre et souhaitent contribuer plus activement à la vie économique et politique de leur pays.

Les jeunes Marocains représentent 30 % de la population du pays, et 10 % des jeunes de toute la région. Ces jeunes sont particulièrement touchés par l’exclusion : une étude récente et novatrice de la Banque mondiale révèle que 49 % des jeunes Marocains ne sont ni à l’école ni au travail. Un nouveau rapport intitulé « Promouvoir les opportunités et la participation des jeunes » analyse les raisons de cette inactivité généralisée et préconise un ensemble de mesures et d’approches centrées sur la jeunesse. Alors que la société marocaine est en profonde mutation, le moment est venu d’engager un nouveau dialogue social pour permettre aux jeunes d’exprimer tout leur potentiel. Tel est le point de vue de Gloria La Cava, spécialiste des sciences sociales à la Banque mondiale ayant dirigé la rédaction du rapport.

D’après le rapport, quels défis majeurs les jeunes Marocains doivent-ils relever aujourd’hui ?

Gloria La Cava : Les travaux de recherche et de préparation du rapport ont été achevés peu avant le début du Printemps arabe. Ce rapport montre que les jeunes ont été mis à l’écart des opportunités dont certains secteurs de l’économie nationale ont bénéficié. Nous avons consacré un chapitre entier au problème de la croissance sans emploi qu’a connue le Maroc et au fait qu’elle a laissé pour compte toute la jeune génération. Le Printemps arabe coïncide avec la poussée démographique de la jeunesse dans le pays. Les derniers rapports de la Banque mondiale indiquent que l’explosion du chômage des jeunes, aussi bien dans la région MENA que dans le reste du monde, est susceptible d’exacerber les risques de conflit et d’accentuer l’instabilité, notamment lorsque les opportunités économiques et les moyens d’expression font défaut.

Les auteurs du rapport ont également constaté que le taux de chômage seul ne suffisait pas à rendre compte des désavantages auxquels sont confrontés les jeunes sur le marché du travail et de leur exclusion économique. Le rapport révèle que la plupart des jeunes au chômage n’ont pas fait d’études secondaires, voire pas d’études du tout. En outre, seuls 5 % d’entre eux ont suivi des études supérieures. Or la plupart des programmes destinés aux jeunes sans emploi ciblent les diplômés universitaires, ce qui a eu pour conséquence d’écarter la grande majorité des jeunes chômeurs. Nous sommes ici en présence d’immenses inégalités face à l’emploi. D’un point de vue purement statistique par rapport au taux de chômage, il faut impérativement rééquilibrer la situation, aussi bien au niveau des solutions proposées pour combattre le chômage qu’au niveau des populations visées par ces politiques.

Le rapport conclut-il à l’existence de différences notables entre la situation des hommes et des femmes ?

GLC : Dans les études que nous consacrons aux disparités entre les sexes, nous nous intéressons systématiquement aux difficultés rencontrées par les femmes pour accéder au marché du travail et s’émanciper financièrement. Alors même qu’elles sont considérablement plus touchées par le chômage que leurs homologues masculins, les jeunes femmes interrogées estiment pour la plupart que la pression économique exercée sur les hommes est bien plus importante — cela est particulièrement vrai en ville mais vaut aussi pour les zones rurales. Traditionnellement, on attend des jeunes hommes qu’ils participent aux frais domestiques et économisent suffisamment pour fonder leur propre foyer. Cependant, la pénurie d’emplois les en empêche, ce qui finit par les isoler au sein de leur propre famille. Les jeunes hommes sont soumis à une très forte pression psychologique. Ces conditions contribuent à l’oisiveté chez les jeunes, notamment parmi les plus pauvres d’entre eux, et peuvent déboucher sur la  consommation de drogues. Si les jeunes femmes manifestent toutes l’envie de trouver un emploi, le chômage n’affecte cependant pas leur dignité profonde, à la différence des hommes. Or, la question de la dignité est au cœur du Printemps arabe : ce mouvement ne se limite pas aux problèmes de revenus, mais nous rappelle ce que le travail représente pour chacun d’entre nous en tant qu’être humain, au sein de notre communauté et de notre famille. Les jeunes femmes interrogées font état également de cette distinction, même si elles conservent les salaires qu’elles gagnent. En effet, l’argent représente pour elles un moyen d’équilibrer leurs relations et de garantir leur indépendance en cas de divorce.

Le système éducatif marocain est-il suffisamment accessible et capable de transmettre aux jeunes les compétences dont ils auront besoin ?

GLC : Officiellement, le système éducatif est accessible. L’assiduité scolaire a connu une hausse spectaculaire et le taux d’illettrisme a considérablement diminué. Toutefois, l’étude montre qu’en matière d’éducation, le « retour sur investissement » est relativement faible. Le système éducatif marocain est à deux vitesses, avec d’un côté l’école privée qui forme les élites en français, et de l’autre l’école publique, qui accueille tous les autres élèves et dispense des cours en arabe. Le marché du travail exige la maîtrise de la langue française, ce qui exclut de fait les diplômés du système public, où le français n’est pas enseigné. La barrière de la langue est l’un des premiers facteurs d’exclusion. En outre, les établissements publics sont surchargés et leurs programmes ne répondent pas aux besoins du marché du travail. Le système public coûte cher, car il garantit l’emploi de nombreux professeurs dans le cadre du contrat social. La Banque mondiale soutient la réforme scolaire au Maroc depuis de nombreuses années. Il s’agit là d’une tâche complexe. La réforme de l’enseignement public prendra du temps, c’est pourquoi ce rapport souligne la nécessité de trouver dès aujourd’hui d’autres moyens de faciliter la transition du monde scolaire vers le monde du travail. Nous y préconisons plusieurs solutions en dehors du système scolaire, susceptibles d’avoir un effet rapide sur les compétences et le recrutement des jeunes. Il est notamment possible d’agir à travers des interventions qui ne passent pas par l’obtention d’un diplôme supplémentaire, en développant par exemple les dispositifs d’apprentissage ou en favorisant et en investissant dans le micro-entreprenariat ou le travail indépendant.


« Avant le Printemps arabe, il était beaucoup question au Maroc et dans les pays voisins de l’importance de la jeunesse en ce qu’elle représente la ressource du futur. Le temps est aujourd’hui venu de concrétiser cette vision ambitieuse en plaçant les jeunes au cœur du développement économique marocain.  »

Gloria La Cava

Spécialiste des sciences sociales à la Banque mondiale ayant dirigé la rédaction du rapport

Quels autres types de ressources sont disponibles pour aider les jeunes à faire aux aspects fondamentaux que sont la recherche d’un emploi, le maintien d’une activité matérielle et la participation à la vie sociale ?

GLC : Nous nous sommes rendu compte que l'État marocain proposait de nombreux services et programmes destinés aux jeunes, notamment aux plus défavorisés. Malheureusement, les programmes publics de formation professionnelle n’ont qu’un effet limité dans la mesure où ils sont généralement basés sur l’offre, et ce, dans tous les domaines de compétence. Très peu d’entre eux offrent une expérience concrète au sein d’une entreprise. Ils se limitent à l’enseignement d’un certain nombre de compétences techniques. Néanmoins, ils ont le mérite d’exister et peuvent être améliorés. Des agences spécialisées proposent un certain nombre de formations professionnelles destinées aux jeunes défavorisés. Celles-ci manquent toutefois de financements et gagneraient à disposer d’un réseau plus étendu auprès des entreprises du secteur privé, ce qui est difficilement accessible au Maroc. Il est également essentiel de généraliser les partenariats public/privé. Le problème de ces services est qu’ils font souvent double emploi et qu’ils sont très centralisés. L’état marocain est encore très centralisé et cette centralisation limite l’efficacité des programmes dans les différentes régions du pays. De plus, les différents programmes ne bénéficient d’aucune coordination horizontale ; il est donc difficile de garantir leur complémentarité et l’optimisation de leur portée. Par conséquent, le nombre de jeunes qu’ils parviennent à toucher est très inférieur aux besoins et leur impact amoindri. Nous avons étudié ces services sur le terrain et interrogé les bénéficiaires. Les résultats des évaluations d’impact mériteraient sans doute d’être affinés, mais le rapport fournit d’ores et déjà une feuille de route claire pour rendre l’intervention publique plus efficace et impliquer davantage le secteur privé marocain, qui se porte plutôt bien au Maroc.

Faut-il prendre des mesures particulières pour résoudre les préoccupations des jeunes et améliorer leur situation ?

GLC : La nouvelle Constitution prévoit la décentralisation de l’État marocain, ce qui permettra le financement de nombreux projets locaux et la création de partenariats public/privé innovants avec des ONG. Nous prenons appui sur l’expérience de certains autres de nos pays clients qui ont abordé la question du chômage des jeunes sous des angles intéressants. Le rapport se penche par exemple sur les programmes de promotion de la création de micro-entreprises et du travail indépendant chez les jeunes au Pérou, ainsi que sur l’adoption de mesures dédiées aux travailleurs du secteur informel, de manière à augmenter leurs revenus et à développer de nouvelles compétences. L’étude recommande également la recherche d’offres d’emploi à l’aide des technologies mobiles pour permettre aux jeunes d’étendre leurs réseaux professionnels. En fait, il faut avant tout solliciter l’appui du secteur privé et améliorer les compétences. Les jeunes doivent améliorer leur maîtrise de la langue française pour accéder à un plus grand nombre d’emplois. Ils doivent également acquérir des compétences générales, ou « compétences transférables », pour pouvoir évoluer dans le marché du travail actuel. Ces compétences sont essentielles dans de nombreux métiers, aussi bien dans le secteur de la mécanique automobile que dans celui des services, et peuvent être acquises de différentes manières. Le rapport recommande d’associer les ONG, l’apprentissage par les pairs et les programmes de formation du secteur privé pour compléter les approches existantes.

Quelles sont les conclusions du rapport et les prochaines étapes ?

GLC : Avant le Printemps arabe, il était beaucoup question au Maroc et dans les pays voisins de l’importance de la jeunesse en ce qu’elle représente la ressource du futur. Le temps est aujourd’hui venu de concrétiser cette vision ambitieuse en plaçant les jeunes au cœur du développement économique marocain. Pour ce faire, l’État doit collaborer avec les jeunes dans la recherche de solutions adaptées, mais aussi les faire participer aux prises de décision et à l’amélioration de la qualité des prestations. L’équipe de la Banque mondiale rassemble des personnes de tous âges, mais nous nous sommes attachés à faire participer de nombreux jeunes à l’élaboration de ce rapport, notamment par le biais de très nombreuses recherches participatives. Cette sollicitation de la jeunesse doit désormais se refléter au niveau des mesures mises en œuvre. L’une des principales recommandations du rapport consiste à soutenir les mouvements représentatifs de la jeunesse et à faire entendre leur voix au sein des organes de décision plus officiels. Leurs idées méritent d’être entendues ! Nos différentes propositions montrent qu’il est possible de résoudre ce problème, à condition de prendre des mesures ciblées, de disposer des ressources nécessaires et de faire participer les jeunes au processus. Les pays doivent aider les jeunes qui se sentent exclus à retrouver le chemin de l’emploi. Certains organismes œuvrent déjà en ce sens et les résultats obtenus sont plus qu’encourageants. Je pense que le Maroc peut devenir un formidable foyer d’innovation.



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