En bref
- Une croissance rapide est indispensable pour répondre aux besoins urgents de développement des populations pauvres du monde entier. Cependant, la croissance ne peut s'inscrire dans la durée que si elle est en même temps partagée par tous et respectueuse de l'environnement, ce second facteur impliquant de veiller à ce que le capital naturel de la Terre fournisse suffisamment de ressources et de services environnementaux pour subvenir aux besoins de l'humanité.
- Pour parvenir à une croissance verte et solidaire, il faut s'attaquer à des obstacles de nature politico-économique, combattre un certain nombre de comportements et normes sociales profondément ancrés et développer des instruments de financement novateurs, capables de modifier les mécanismes d'incitation et de promouvoir l'innovation ; il s'agit de remédier aux défaillances des marchés, des politiques et des institutions qui conduisent à la surexploitation des ressources naturelles.
- Le « verdissement de la croissance » est nécessaire, efficace et abordable. Il convient de se concentrer sur l'action à mener à l'horizon de 5 à 10 ans pour sortir des schémas de croissance non durables et éviter de causer des dégâts écologiques irréversibles. Mais comment savoir si nous sommes sur la bonne voie ? Pour favoriser une croissance verte, il faut donc également se doter de meilleurs indicateurs de performances économiques. Alors que les instruments de mesure du revenu national tels que le PIB ne mesurent que la croissance économique à court terme, nous avons besoin d'indicateurs qui prennent en compte l'ensemble des richesses (y compris le capital naturel) pour savoir si la croissance sera durable sur le long terme.
Les défis que nous devons relever
Ces 20 dernières années, la croissance économique a tiré plus de 660 millions de personnes de la pauvreté et accru les revenus de millions d'hommes et de femmes. Or cette croissance se réalise souvent au détriment de l'environnement.
Des défaillances multiples — au niveau des marchés, des politiques et des institutions — font que l'exploitation du capital naturel de la Terre est souvent synonyme d'inefficacité et de gaspillage, que les coûts sociaux de l'épuisement des ressources ne sont pas véritablement ni suffisamment pris en compte et que le processus ne s'accompagne pas de réinvestissements dans d'autres formes de richesses. Ces défaillances menacent la viabilité de la croissance à long terme et les progrès accomplis en matière de bien-être social. En outre, malgré les bénéfices de la croissance, 1,3 milliard de personnes n'ont pas l'électricité, 2,6 milliards ne disposent pas d'installations sanitaires et 900 millions n'ont pas accès à de l'eau propre et potable. En d'autres termes, la croissance n'a pas été suffisamment partagée.
Faut-il croître à n'importe quel prix, quitte à s'occuper plus tard des dégâts environnementaux ? Non, d'autres choix existent pour les pays en développement. Beaucoup de mesures utiles peuvent être mises en œuvre immédiatement : non seulement un air sain, de l'eau propre et une bonne gestion des déchets solides font partie des besoins élémentaires, mais nombre de politiques environnementales améliorent aussi la productivité et la réduction de la pauvreté. Si les pays pauvres doivent s'employer à satisfaire les besoins de base et à accroître les opportunités de croissance, ils doivent le faire dans le respect de l'environnement. Par ailleurs, les performances écologiques n'augmentant pas automatiquement avec les revenus, elles doivent dans tous les cas s'accompagner d'actions de politique publique. Enfin, remettre à plus tard le règlement de la question environnementale risque d'être impossible ou extrêmement coûteux, soit parce que les dégâts écologiques seront irréparables, comme dans le cas de la perte de biodiversité, soit parce que l'attentisme et les blocages en découlant auront rendu le coût des politiques et processus de protection environnementale, lorsque ceux-ci seront finalement mis en œuvre, exorbitant.
L'avenir que nous voulons construire
Lorsqu'elles sont bien conçues, les politiques de croissance verte et solidaire renforcent le bien-être social et prennent en compte les besoins des générations actuelles, mais aussi futures. Il n'empêche que les responsables politiques se préoccupent aussi, à raison, des éventuels concessions, coûts et co-avantages des politiques écologiques en matière de croissance et d'emploi à court terme. Une analyse attentive au cas par cas sera nécessaire pour déterminer les stratégies optimales. De nombreux éléments indiquent toutefois clairement que les coûts à court terme peuvent être minimisés à l'aide de réglementations bien conçues et d'instruments politiques fondés sur le marché, qui favorisent des moyens peu onéreux de protection de l'environnement. La croissance verte peut ainsi ouvrir la voie à un développement plus durable, qui réconcilie le besoin urgent d'une croissance soutenue avec l'impératif de sortir des modèles de croissance non durables et d'éviter des dégâts irréversibles à l'environnement. La croissance verte ne s'oppose pas à la croissance. Elle implique un changement dans la façon dont nous gérons nos économies, ce changement devant rendre compte d'une conception plus large de ce qui constitue une croissance efficace et durable.
La capacité et la volonté de valoriser le capital naturel sous-tendent la transition vers une croissance plus verte. Le capital naturel (eau, terre, air, écosystèmes et « services environnementaux » associés) représente une part considérable des richesses d'un pays. Tout comme le capital physique et humain, le capital naturel doit faire l'objet d'investissements, d'un entretien et d'une bonne gestion pour être synonyme de productivité et contribuer pleinement à la prospérité. Pour mesurer précisément les progrès réalisés en matière de transition vers une croissance verte, les pays gagneront à appliquer des méthodes de calcul prenant en compte l'ensemble des richesses et la valeur des écosystèmes, parallèlement à leurs indicateurs conventionnels tels que le PIB.
En fait, il n'existe pas de modèle unique pour la croissance verte. Les stratégies varient selon les pays, les préférences et les contextes nationaux. Les « meilleures pratiques » d'un pays doivent être soigneusement évaluées avant d'être transposées ailleurs. Néanmoins, tous les pays, qu'ils soient riches ou pauvres, ont la possibilité de rendre leur croissance plus verte et plus solidaire sans la ralentir.
Comment atteindre cet objectif
Le verdissement de la croissance nécessite la mise en place de politiques qui sont en soi favorables à la croissance et au respect de l'environnement — comme par exemple une réforme des subventions énergétiques ou des barrières douanières qui protègent les secteurs hautement polluants. Pour les gouvernements, cela implique, d'une part, d'adopter des réformes difficiles en matière de détermination des prix, de réglementation et d'investissement public et, d'autre part, d'opérer des changements complexes au niveau des comportements et des normes sociales. Pour parvenir à la croissance verte, il est important de savoir déterminer à quel moment il faut opter pour une mesure politique opportune, même si son résultat ne sera pas idéal du point de vue économique.
Le rapport de la Banque mondiale sur la croissance verte et solidaire présente une stratégie qui s'articule autour de trois grands axes :
Axe 1 – Concevoir des stratégies de croissance verte et solidaire adaptées au contexte des pays, en mettant l'accent sur l'optimisation des avantages locaux immédiats et en évitant les situations de blocage. Les solutions optimales seront différentes dans chaque pays, en fonction des capacités institutionnelles, de la transparence et de la responsabilité publiques ainsi que de la capacité d'action de la société civile.
Axe 2 – Promouvoir une prise de décisions efficace et durable de la part des responsables politiques, des consommateurs et du secteur privé. Il est important d'employer des instruments fondés sur le marché — taxe sur la pollution par exemple —, car ceux-ci contribuent à l'efficacité et stimulent l'innovation. Il faudra adopter un éventail d'approches complémentaires pour encourager les particuliers à modifier leurs comportements et pour optimiser les capacités du secteur privé. Bien que nous soyons encore loin d'évaluer avec précision le prix des services écosystémiques, nous savons que leur valeur est considérable. Le capital naturel doit être systématiquement intégré aux comptes nationaux. En février 2012, la commission de statistique de l'ONU a fait du système de comptabilité environnementale et économique intégrée une norme internationale, établissant ainsi une méthodologie généralisée. Négliger le capital naturel, de même que négliger le capital humain et physique, nuit à l'économie et à la croissance.
Axe 3 – Répondre aux besoins d'investissement initiaux à l'aide d'outils de financement innovants. Compte tenu du caractère restreint des ressources budgétaires, il est urgent que les gouvernements et les institutions financières multilatérales s'efforcent d'inciter le secteur privé à investir davantage dans le verdissement de l'économie. L'établissement de partenariats public-privé est essentiel pour réduire les barrières commerciales et parvenir à des usages et des décisions économiques à la fois rentables commercialement et valables sur le plan écologique et social.
En définitive, la croissance verte dépend essentiellement d'une bonne politique de croissance tout court, celle-ci devant viser à déterminer des prix justes et à corriger les défauts du marché, à remédier aux défaillances de la coordination et aux externalités de connaissances, et à attribuer des droits de propriété. Il faut cependant préciser que lorsqu'une économie présente des défauts structurels, les politiques de croissance verte ne sont pas la panacée. En effet, les mesures en faveur de la protection de l'environnement ne sauraient régler des problèmes d'instabilité macro-économiques, un marché du travail défaillant, un système financier insuffisamment réglementé ou un environnement économique hostile.
En outre, même si on peut parvenir à une croissance verte au coût abordable, l'économie d'un pays ne peut guère verdir du jour au lendemain. Des mutations rapides entraîneraient un fort ralentissement de la croissance, à court et moyen terme du moins. À l'inverse, la perspective, à terme, d'une transition indispensable et donc brutale devrait constituer une forte motivation pour s'atteler à cette tâche dès maintenant.