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Les « traqueurs de corruption » se réunissent à Washington

06 décembre 2010


LES POINTS MARQUANTS
  • Une coalition anti- corruption se réunit du 6 au 8 décembre afin de renforcer les poursuites contre les cas de corruption et de détournement de fonds.
  • La corruption est l’une des principales entraves au développement économique et social : on estime que 20 à 40 milliards de dollars sont ainsi volés, chaque année, aux pays à faible revenu.
  • Les autorités des pays du monde entier doivent s’impliquer davantage afin de mettre un terme à la corruption et de restituer les avoirs volés.

Le 6 décembre 2010 – Tous les acteurs de la lutte mondiale contre la corruption réunis aujourd’hui au siège de la Banque mondiale, à Washington, sont déterminés à renforcer la répression des fraudes qui aboutissent chaque année au détournement de 20 à 40 milliards de dollars au détriment des pays en développement.

C’est la première fois, depuis sa création en 2009, que l’« Alliance internationale des traqueurs de corruption » se réunit. Plus de 200 membres, originaires de 134 pays, veulent coopérer pour mettre en place un régime international qui permette de « traquer » et de traiter des cas de fraude et de corruption qui par nature ne connaissent pas de frontière et mettent en jeu plusieurs pays.

Les deux grands objectifs de cette coalition sont l’augmentation des poursuites, tant dans les pays en développement que dans les pays riches, et la portée des décisions en découlant, qui doit être globale et multi-juridictionnelle.

Cette réunion, organisée par la Banque mondiale avec l’appui de l'Australie, de la Norvège et du Danemark, doit également permettre d’examiner les meilleures pratiques en matière de partage des informations et de contrôle de l’application des décisions.

Elle intervient à un moment où la Banque mondiale intensifie ses propres efforts de lutte contre la corruption, ce fléau étant considéré comme l’un des principaux obstacles au développement économique et social dans les pays à faible revenu.

Au cours des deux dernières années, le nombre de cas de radiations parmi les entreprises travaillant avec la Banque mondiale a été multiplié par cinq. Et l’institution est aujourd’hui l’un des principaux soutiens à l’Initiative pour le recouvrement des avoirs volés (StAR) (a), qui œuvre pour la restitution des fonds détournés aux pays en développement.

Le président de la Banque mondiale Robert Zoellick l’affirme sans détour : « Ceux qui volent de l’argent public, fraudent ou corrompent doivent être l’objet d’enquêtes et de poursuites ».

« Avec les membres de l’alliance, nous nous sommes fixés pour objectif au cours de la décennie qui vient de mieux anticiper les risques de fraude ou de corruption, en particulier dans les contextes délicats où travaille la Banque mondiale. »

Des entreprises frappées d’exclusions croisées

La semaine dernière, justement, la Banque mondiale a annoncé la radiation de quatorze entreprises : deux d’entre elles opéraient dans le cadre de projets financés par la Banque en Afrique et en Albanie, tandis que les douze autres ont été précédemment exclues par la Banque asiatique de développement.

Cette dernière décision est une première : en vertu de l’accord d’exclusion croisée signé en avril dernier par plusieurs banques multilatérales de développement, la Banque mondiale a suspendu pour la première fois les activités d’entreprises convaincues de fraudes au sein de projets menés par une autre institution. Les institutions signataires se sont aussi engagées à développer le partage des informations, à harmoniser la définition des pratiques répréhensibles et à renforcer leur répression. Leur but est de s’assurer que les ressources destinées au développement ne finissent dans les mauvaises poches mais qu’elles soient bien utilisées aux fins prévues.

Récemment classée par un collectif d’organisations de la société civile au premier rang des bailleurs de fonds les plus transparents parmi 30 grandes institutions, la Banque mondiale a radié 58 entreprises au cours des deux dernières années, contre 9 pour les deux années précédentes. Ces radiations ont notamment concerné l’éditeur britannique Macmillan Ltd et la société Siemens AG, laquelle a accepté de verser 100 millions de dollars en faveur d’initiatives internationales de lutte contre la corruption dans le cadre d’un accord passé avec la Banque mondiale.

« Les entreprises et les personnes qui utilisent à mauvais escient les ressources allouées au développement doivent avoir conscience que nous avons décidé avec nos partenaires d’intensifier le combat contre la fraude et la corruption et qu’elles ne sauraient, dans cette nouvelle configuration, échapper à leurs responsabilités », avertit le vice-président de la Banque mondiale en charge des questions de déontologie institutionnelle (INT), Leonard McCarthy.

Renforcer les sanctions

À Washington, les responsables anti-corruption des six régions de la Banque mondiale vont rencontrer les autorités des pays en lutte contre ce fléau, des représentants du secteur privé et des membres d’organisations internationales telles que les Nations Unies, Interpol, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et Transparency International, afin de définir les priorités et de préciser les nouvelles étapes de la lutte contre la corruption.

L’alliance a été mise en place par la Banque mondiale en 2009 dans le but de partager avec les pays concernés ses conclusions sur les cas de corruption constatés. Au cours du dernier exercice, la Banque mondiale a ainsi soumis 32 cas à des gouvernements et agences anti-corruption pour qu’ils enquêtent et engagent des poursuites en conséquence – la liste de ces pays a été publiée dans le Rapport annuel 2010 de l’INT (PDF).

Toutefois, obtenir des autorités nationales qu’elles assurent ce suivi des dossiers transnationaux est complexe. Et ce pour de nombreuses raisons : le défaut de volonté politique, l’absence d’instruments judiciaires adaptés ou encore le manque de ressources matérielles. Il peut également s’avérer difficile de recueillir des preuves auprès de témoins craignant des représailles voire des menaces pour leur propre sécurité, comme l’a récemment souligné l’équipe de déontologie institutionnelle de la Banque mondiale lors d’une intervention en ligne (a).

De plus, seuls sept des 38 pays ayant ratifié la convention de l’OCDE sur la corruption l’appliquaient de manière effective à la fin de l’année 2009, selon Transparency International (a).

« La corruption peut tuer »

De la même manière, l’augmentation du nombre des dossiers pris en charge par l’initiative (StAR) (a) se heurtent à des difficultés, a rappelé la directrice générale de la Banque mondiale Sri Mulyani au cours de la 14e conférence internationale anti-corruption qui s’est tenue en Thaïlande le mois dernier. « Il est nécessaire que les autorités des pays en développement et les centres financiers renforcent leurs actions d’identification, d’enquête et de poursuite des cas de corruption. »

« Les enjeux sont immenses. La corruption n’est pas uniquement un frein au développement, à l’innovation et à la croissance commerciale. Elle peut également tuer », met en garde Mme Mulyani. « La corruption peut prendre la forme de la contrefaçon de médicaments, ce qui signifie que les gens ne seront pas soignés correctement et qu’ils pourront même en mourir. La corruption, c’est aussi un bâtiment qui s’effondre lors d’une catastrophe naturelle, parce que l’inspecteur en charge de la qualité des travaux a reçu de la part du constructeur une enveloppe pour falsifier son rapport. La corruption peut tuer. »

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