5 mars 2009 —Dans un discours adressé à ses concitoyens ghanéens au début des années 90, l’éducateur visionnaire, Dr J.E. Kwegyir Aggrey, déclarait : « la plus sûre manière d’empêcher un peuple de progresser, c’est d’éduquer les hommes et de négliger les femmes. Éduquer un homme, c’est seulement éduquer un individu, mais éduquer une femme, c’est éduquer toute une famille. »
La bonne nouvelle, c’est qu’au cours des dernières décennies, la fréquentation scolaire des filles a atteint des records. Le fossé entre les sexes s’est réduit, et les filles ont remporté des victoires considérables au niveau économique et social, comme dans le domaine du développement, et ce, aussi bien pour elles-mêmes que pour leurs communautés, comme le révèle un nouveau rapport de la Banque mondiale.
Au total, dans les pays pauvres, la proportion de filles inscrites à l’école primaire est passée de 87% en 1990 à 94% en 2004. Elles n’ont jamais été aussi nombreuses dans le secondaire, souligne également le rapport (L’éducation des filles au 21ème siècle : égalité des sexes, émancipation et croissance économique).
L’éducation des filles est un facteur essentiel du développement durable. Il va de soi qu’il faut continuer à investir dans l’éducation des filles malgré la crise financière et de l’emploi qui sévit partout dans le monde, comme l’écrivent en préface du rapport Joy Phumaphi, Vice-présidente et responsable du réseau Développement humain à la Banque mondiale et Danny Leipziger, Vice-président du Réseau de lutte contre la pauvreté à la Banque mondiale. « L’émancipation économique des femmes, expliquent-ils, joue un rôle essentiel dans le développement économique, la croissance et la réduction de la pauvreté, non seulement parce qu’elle génère des revenus, mais aussi parce qu’elle aide à briser le cercle vicieux de la pauvreté. »
La forte augmentation des inscriptions résulte de l’importance capitale que les gouvernements et les donateurs ont accordée à la scolarisation des filles ces 20 dernières années, souligne Mercy Tembon, directrice-pays pour le Burundi, qui a contribué au rapport en tant qu’auteur et éditrice. C’est aussi, ajoute-t-elle, le résultat d’une utilisation efficace des bourses, aides et transferts monétaires conditionnels, du recrutement de professeurs femmes, de la distribution gratuite de manuels scolaires aux filles et d’autres mesures pour promouvoir l’égalité entre les sexes.
C’est dans le secondaire que subsistent essentiellement les inégalités
Tandis que les disparités s’estompent à l’école primaire, on constate que les filles sont moins nombreuses que les garçons dans le secondaire. Aujourd’hui, selon le rapport, c’est surtout le secondaire qui produit et entretient les inégalités en termes d’apprentissage et d’émancipation économique.
Les plus pénalisées à cet égard sont les habitantes d’Afrique subsaharienne et d’Asie centrale qui vivent dans de petits villages ruraux touchés par un conflit, qui appartiennent à des clans minoritaires ou qui souffrent d’un handicap.
« Voilà le défi à relever, et il ne consiste pas seulement à s’assurer que les filles soient inscrites dans un établissement secondaire, qu’elles soient présentes tous les jours et qu’elles fassent leurs devoirs. Il s’agit surtout de les aider à développer une attitude et des compétences professionnelles susceptibles de transformer leur vie », explique Mme Tembon. Il faut, selon elle, accorder davantage de bourses et de transferts monétaires conditionnels pour soutenir l’éducation des filles à la fois du côté de l’offre et de la demande.
L’éducation dans les régions touchées par un conflit
À l’heure actuelle, environ la moitié des 70 millions d’enfants non scolarisés dans le monde vivent dans des États fragiles et touchés par un conflit.
Le rapport éclaire les défis que pose l’éducation des enfants et des adolescents appartenant à des communautés déchirées par la guerre.
Le professeur Jackie Kirk, spécialiste des questions de genre, qui a été tuée en Afghanistan l’année dernière, a rédigé un chapitre concernant l’éducation des filles dans ce pays. Le rapport lui est d’ailleurs dédié.
Selon Mme Tembon, les gouvernements, les agences de développement, les ONG et les autres partenaires ne peuvent pas négliger le problème de l’éducation des filles et des garçons dans ce contexte dangereux, quelles que soient la difficulté et l’envergure de la tâche.
Croissance économique
C’est la qualité de l’éducation (ce que les élèves savent), et non le niveau d’études (le nombre d’années passées à l’école), qui détermine la réussite économique des individus et des pays, affirme Eric Hanushek (de l’Université de Stanford), qui a contribué au rapport. La qualité influe sur les résultats en terme d’éducation et de revenus pour les filles comme pour les garçons.
Mais la qualité de l’enseignement ne s’améliore pas du jour au lendemain. Mme Tembon et M. Beth King, le nouveau directeur du département de l’éducation à la Banque mondiale, mettent l’accent sur les difficultés auxquelles sont confrontés les gouvernements des pays de l’OCDE lorsqu’il s’agit d’améliorer l’apprentissage en terme de résultats. On imagine ce qu’il en est pour les gouvernements des pays pauvres, qui doivent augmenter le maigre budget consacré à l’éducation tout en gérant l’aide aléatoire des donateurs.
Ce sont les générations futures qui recueilleront les bénéfices
Pour améliorer les capacités cognitives des filles comme des garçons, on doit modifier le fonctionnement des établissements scolaires. Toutefois, précise le rapport, les modifications apportées ne portent leurs fruits qu’à long terme, sur une période de 20 ou 30 ans. Même si les réformes réussissent, pour en voir les effets sur le plan économique, il faut généralement attendre que les nouveaux diplômés constituent une part importante de la population active.
Les avantages que représente la scolarisation des femmes pour la société sont également considérables dans les pays en développement. Le rapport montre qu’une année d’études pour les filles équivaut à une réduction de la mortalité infantile de 5 à 10%. Les enfants nés de mères ayant fréquenté un établissement primaire pendant 5 ans ont 40% plus de chances de vivre au-delà de 5 ans.
Lorsque la proportion de femmes ayant fait des études secondaires double, le taux de fécondité tombe de 5,3 à 3,9 enfants par femme. En permettant aux filles d’étudier une année supplémentaire, on augmente leurs revenus futurs de 10 à 20%. L’expérience montre que l’allongement de la scolarité des femmes coïncide avec l’adoption de méthodes agricoles plus productives et avec une diminution de 43% de la malnutrition.
Le fait d'éduquer les femmes influe davantage sur la scolarisation des enfants que celui d’éduquer les hommes. Les jeunes Ougandaises des régions rurales ayant suivi un enseignement secondaire ont trois fois moins de risque d’être infectées par le VIH. En Inde, les femmes qui ont fait des études sont mieux armées contre la violence. Au Bangladesh, elles sont trois fois plus nombreuses à participer à des réunions politiques.