Mise à jour 17 février 2010 : L'étude de Chen et Ravallion (2008) présentée ci-dessous constitue toujours l'évaluation la plus complète de la pauvreté dans les pays en développement. Les prévisions concernant les conséquences de la crise financière sur la pauvreté sont disponibles dans un nouveau rapport de la Banque mondiale, Perspectives pour l'économie mondiale 2010.
Les données actualisées montrent qu’au cours des 25 dernières années la pauvreté a fait plus largement sentir ses effets dans les pays en développement qu’on ne le croyait précédemment, mais aussi que des progrès considérables, encore qu’inégaux d’une région à l’autre, ont été enregistrés dans le sens de la réduction de la pauvreté globale.
Si l’on analyse ces nouvelles estimations du point de vue des Objectifs de développement pour le Millénaire (ODM), une série de cibles de développement convenue à l’échelle internationale, le monde en développement est toujours en bonne voie pour réduire de moitié l’extrême pauvreté à l’horizon 2015 par rapport au niveau atteint en 1990. Cet objectif constitue en effet le premier des huit ODM essentiels.
« Ce constat— à savoir que la pauvreté est plus répandue que nous ne le pensions— donne néanmoins à réfléchir et doit nous inciter à redoubler d’effort, en particulier en Afrique subsaharienne, » observe Justin Lin, Premier vice-président, Économie du développement, et Économiste en chef de la Banque mondiale.
La Banque publie régulièrement, à quelques années d’intervalle, des estimations de la pauvreté actualisées à partir des données internationales les plus récentes sur le coût de la vie et des enquêtes réalisées par les différents pays sur la consommation des ménages.
Des données plus fiables sur le coût de la vie dans les pays en développement
« De nouvelles données importantes ont révélé que le coût de la vie dans les pays en développement est plus élevé que nous ne le pensions, ce qui explique l’ampleur inégalée à ce jour des modifications apportées aux chiffres relatifs à la pauvreté dans le cadre de la dernière révision, » explique Martin Ravallion, directeur du Groupe de recherche sur le développement économique à la Banque mondiale.
M. Ravallion fait référence aux nouvelles données publiées en début d’année sur les prix comparatifs des biens et services (denrées alimentaires, logement, transports, etc.) de nombreux pays, exprimés sur la base de taux de change rendus comparables au plan international par la méthode dite de la parité du pouvoir d’achat (PPA).
Les PPA les plus récentes pour 2005 ont été rendues publiques grâce à une initiative statistique de portée mondiale, le Programme de comparaison internationale (PCI). Des améliorations ont été apportées à la conception, à la réalisation et à l’analyse des enquêtes sur les prix réalisées dans le cadre du PCI pour 2005, aussi les nouvelles PPA sont-elles plus fiables que les anciennes données recueillies en 1993 et 1985, qui sous-estimaient le coût de la vie dans les pays en développement.
Des estimations plus précises de la pauvreté
À la lumière de ces nouvelles données, la Banque a également revu à la hausse ses estimations sur l’étendue de la pauvreté dans les pays en développement pour toute la durée de la période considérée (1981 à 2005).
« Ces nouvelles estimations représentent une avancée majeure dans la mesure de la pauvreté à l’échelle mondiale, car les données relatives aux prix sur lesquelles elles sont fondées sont de bien meilleure qualité, ce qui permet d’assurer la comparabilité des seuils de pauvreté d’un pays à l’autre, » explique Shaohua Chen, statisticien senior au Groupe de recherche sur le développement économique.
Une estimation antérieure chiffrait à 985 millions en 2004 le nombre de ceux vivant en dessous du précédent seuil de pauvreté internationale, qui était de un dollar par jour. Cette estimation, en baisse par rapport au 1,5 milliard de pauvres dénombrés en 1981, était fondée sur des données qui avaient été compilées en 1993, les meilleures disponibles à l’époque sur le coût de la vie.
Les nouveaux chiffres, qui montrent que 400 millions de personnes de plus qu’on ne le croyait précédemment vivaient en dessous du seuil de pauvreté en 2005, ont été établis à partir du nouveau seuil de pauvreté international fixé à 1,25 dollar par jour en prix 2005. Ce seuil est un bon moyen de mesurer la pauvreté extrême, dans la mesure où il correspond au seuil de pauvreté national moyen des 10 à 20 pays les plus déshérités de la planète.
« Le nouveau seuil de pauvreté international n’a pas vocation à remplacer les seuils de pauvreté nationaux, » explique M. Ravallion. « Lorsqu’il s’agit de mesurer la pauvreté et d’examiner les politiques publiques à suivre dans tel ou tel pays, il convient naturellement d’utiliser un seuil de pauvreté jugé adéquat pour ledit pays, lequel ne correspondra pas nécessairement au seuil international ».
Un supplément à paraître des Indicateurs du développement dans le monde présentera des estimations de la pauvreté établies sur la base à la fois du seuil de pauvreté national de chaque pays et du nouveau seuil de pauvreté international, en vue de faciliter les comparaisons entre régions et entre pays.
Des données complètes sur les pays sont également disponibles à partir du site web PovcalNet. Cet instrument de recherche interactif pourra être utilisé pour reproduire les estimations de la pauvreté établies par la Banque et tester d’autres hypothèses, telles que le seuil de pauvreté ou les groupes de pays.
Progression globale à l’échelon mondial
L’étude de M. Ravallion sur ces nouvelles estimations, qui a été rédigée en collaboration avec Shaohua Chen, est intitulée The developing world is poorer than we thought, but no less successful against poverty. (Pour en savoir plus, lire le texte intégral ou la version abrégée [pdf] de l’étude.)
Les auteurs concluent que même si le nombre estimatif de pauvres a augmenté, la pauvreté dans le monde en développement continue de se résorber à la même rapidité que lorsqu’elle était mesurée sur la base des données sur les prix 1993.
La réduction de la pauvreté se poursuit au rythme d’un point de pourcentage par an environ, et la proportion de pauvres dans la population des pays en développement a été ramenée de 52 % en 1981 à 25 % en 2005, ce qui est loin d’être négligeable si l’on considère que le nombre de pauvres a diminué de 500 millions durant la même période.
« Pourtant, même à ce rythme, le monde comptera encore un milliard environ de pauvres qui disposeront de moins de 1,25 dollar par jour pour subsister en 2015, » ajoute M. Ravallion. « Et nombre de ceux qui se sont hissés au-dessus du seuil de 1,25 dollar par jour entre 1981 et 2005 seront toujours pauvres selon les normes des pays riches, voire des pays à revenu intermédiaire. »
En outre, compte tenu du temps qui s’écoule entre le moment où les enquêtes sont réalisées et celui où les données sont disponibles, les nouvelles estimations ne rendent pas encore compte du fort impact que le renchérissement des prix alimentaires et des carburants a pu avoir sur les pauvres depuis 2005.
Des résultats inégaux d’une région en développement à l’autre
La pauvreté en Asie de l’Est—la région la plus pauvre au monde en 1981—a reculé puisque le pourcentage de la population vivant avec moins de 1,25 dollar par jour a été ramené de près de 80 % en 1981 à moins de 20 % en 2005 (environ 316 millions de personnes). Ces progrès sont essentiellement attribuables aux avancées spectaculaires de la Chine sur le front de la réduction de la pauvreté.
La proportion de ceux qui subsistent avec moins de 1,25 dollar par jour a également diminué en Asie du Sud, puisqu’elle est passée de 60 % à 40 % entre 1981 et 2005, mais cela n’a pas suffi à réduire le nombre total de pauvres dans la région, qui est resté d’environ 600 millions en 2005.
En Afrique subsaharienne, on n’observe aucune baisse durable du pourcentage de la population vivant avec moins de 1,25 dollar par jour au cours de la période écoulée depuis 1981, ce ratio ressortant à 50 % en début comme en fin de période. En termes absolus, le nombre de pauvres a pratiquement doublé, passant de 200 millions en 1981 à 390 millions en 2007. On constate cependant des progrès depuis peu, puisque le taux de pauvreté a été ramené de 58 % en 1996 à 51 % en 2005.
Pour les pays à revenu intermédiaire, le seuil de pauvreté médian du monde en développement, soit deux dollars par jour en prix 2005, est plus pertinent. À cette aune, le taux de pauvreté a diminué depuis 1981 en Amérique latine et dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, mais pas suffisamment pour réduire le nombre total de pauvres.
La proportion de pauvre vivant avec moins de deux dollars par jour a augmenté en Europe de l’Est et en Asie centrale depuis 1981, même si l’on observe des signes de progrès depuis la fin des années 90.
Un effort constant d’amélioration des données
« Les données ne sont jamais parfaites, même si elles s’améliorent au fil du temps, » explique Shaida Badiee, directeur du Groupe de recherche sur le développement économique à la Banque. « La Banque mondiale s’emploie sans relâche avec ses partenaires des pays en développement à améliorer l’accès à des données de meilleure qualité. »
Les nouvelles enquêtes sur les prix réalisées pour la Chine dans le cadre du PCI 2005 sont un exemple des améliorations qui sont apportées aux statistiques. De nombreux pays en développement n’ont pas participé aux séries d’enquêtes organisées dans le cadre des PCI précédents, mais le PCI 2005 a couvert 146 pays, dont la Chine.
La qualité des données recueillies sur les prix s’améliore également avec le temps, et les listes de produits sont beaucoup plus détaillées. Les enquêtes réalisées dans le cadre du PCI 2005 font ainsi référence à six différents types de riz, classés sur la base de huit caractéristiques qui en déterminent le prix pour assurer la comparabilité d’un pays à l’autre. Au total, plus de 1 000 produits ont été répertorié dans les enquêtes sur les prix.
M. Ravallion note que la portée et la disponibilité des enquêtes sur le revenu et la consommation des ménages se sont également grandement améliorées. « Les estimations les plus récentes de la pauvreté ont été établies à partir des enquêtes réalisées auprès de 675 ménages dans 116 pays en développement, représentant 96 % du monde en développement, » explique-t-il. « Or, il y a 20 ans, nous ne pouvions faire ces calculs correctement que pour 22 pays. Il s’agit là d’une avancée majeure dans notre compréhension de la pauvreté à l’échelle de la planète. »