16 juin 2008— Les prix élevés affectent de nombreux pays à travers le monde, mais les pays en développement ne disposant d'accès à la mer supportent un fardeau supplémentaire.
L'Afghanistan, la République centrafricaine, le Burundi et d'autres pays sans port doivent payer davantage et attendre plus longtemps pour recevoir leurs importations de pétrole, de denrées alimentaires et d'autres produits.
Le même problème se pose quant à leurs exportations, avec pour conséquence des échanges commerciaux moindres et une croissance plus lente que leurs voisins ayant accès à la mer.
Selon trois économistes de la Banque mondiale travaillant sur les questions de logistique commerciale, sur les 31 pays en développement sans ports d'accès, 16 se retrouvent dans la classe des pays les plus pauvres de la planète à cause de leur enclavement.
Gael Raballand et Jean-François Marteau de la Division des transports Afrique et Jean-François Arvis de la Division du Commerce du Réseau réduction de la pauvreté et de gestion économique (PREM) recherchent des moyens de résoudre les problèmes d'échanges commerciaux qui contribuent au maintien des pays les moins développés sans accès à la mer (PMD) dans un schéma de faible croissance.
Leur étude réalisée en 2007 et intitulée « The Cost of Being Landlocked: Logistics Costs and Supply Chain Reliability » (Le prix de l'enclavement : coûts de logistique et fiabilité de la chaîne logistique) révèle que l'état du réseau routier ne constitue pas la cause première de l'inefficacité et du coût élevé des transports. L'amélioration des infrastructures ne suffit pas pour résoudre le problème, affirment-ils.
« Pendant longtemps, nombreux étaient ceux qui affirmaient que de meilleures infrastructures résoudraient le problème des coûts associés à l'enclavement, déclare M. Raballand. Cependant, nous devons maintenant de plus en plus travailler dans les états côtiers parce que le problème majeur réside au niveau des ports et surtout sur la façon d'en sortir les marchandises. »
D'autres obstacles peuvent être évoqués, notamment les attentes aux frontières, les cartels dans les transports routiers, de nombreuses procédures administratives, les pots-de-vin et tout élément qui contribue au maintien des coûts artificiellement élevés du transport.
Surmonter les désavantages géographiques
La Banque mondiale, les Nations Unies, les pays enclavés et les pays donateurs unissent actuellement leurs efforts pour essayer de réduire les obstacles au commerce, à la croissance et au développement que doivent affronter les pays en développement sans littoral. Des experts se sont réunis au début du mois à New York afin d'évaluer les progrès réalisés dans le cadre du programme décennal Almaty lancé en 2003 à Almaty, au Kazakhstan. Ce programme invite les pays à mettre en place des réglementations plus transparentes pour le commerce de transit et le passage en douane, à rationnaliser les procédures administratives et à simplifier le contrôle et les procédures frontaliers. Il souligne également l'importance des efforts collaboratifs, à l'échelle régionale et sous-régionale, pour développer des systèmes de transit efficaces.
L'aide de la Banque mondiale consiste à financer des projets et offrir l'assistance technique qui permettra de faciliter le commerce et le transport de marchandises. Elle contribue également à des travaux de recherche, comme l'étude sur les Coûts associés à l’enclavement et l'Indice de performance logistique. La Banque apporte aussi son soutien à des initiatives à l'échelle mondiale et régionale, telles que le Partenariat mondial pour la facilitation du transport et du commerce. Le travail de la Banque montre que les économies sans accès à la mer sont pénalisées par le coût élevé des services de transport de marchandises, ainsi que par le degré élevé d’imprévisibilité des délais de transport. Les principales sources de frais sont non seulement des contraintes physiques, mais aussi la généralisation de la corruption et les insuffisances relevées dans l’instauration de systèmes de transit, qui empêchent l’émergence de services logistiques fiables.
Temps de passage portuaire des marchandises « deux fois plus longs »
Les produits importés peuvent mettre deux fois plus de temps pour sortir du port que le trajet effectif du port à leur destination. Quatre à six semaines peuvent être nécessaires pour que les marchandises atteignent les pays enclavés à partir des pays ayant accès à la mer, déclare M. Marteau.
Les cargaisons des pays sans accès à la mer restent plus longtemps au port que les produits destinés au marché national et elles font également l'objet de « multiples et longues procédures administratives sur la plupart des corridors ».
« Dans ce contexte, l'incertitude quant aux ports est extrêmement forte et affecte tout le reste du trajet », déclare M. Marteau.
Les marchandises à destination de l'Ouganda, du Rwanda et du Burundi restent en moyenne cinq jours de plus (25 contre 20 jours) dans le port de Dar Es Salaam en Tanzanie que celles pour la Tanzanie elle-même. Cela est également valable pour les marchandises acheminées par Mombasa au Kenya, révèle l'étude.
L'inefficacité du système portuaire à Douala au Cameroun favorise les retards et les coûts élevés de transport des marchandises à destination de N'Djamena au Tchad, situé à 2 000 km de la mer.
Selon une étude diagnostique sur l'intégration commerciale réalisée en 2006, le transport de cinq semaines par train ou par route requiert un dossier de sept pièces et souffre de la médiocrité et de la segmentation des services de camionnage, du phénomène répandu de « recherche de redevances entraînant de nombreux points de contrôle », des problèmes de sécurité et de la faiblesse de l'administration des douanes du Tchad.
En Afrique et en Asie centrale, les marchandises destinées aux pays enclavés passent par un minimum de trois étapes pour leur « formalités douanières », contre une seule pour les pays côtiers. Première étape : le Port.
Deuxième étape : la frontière. Il faut généralement plus de 24 heures pour franchir la frontière entre le Kenya et l'Ouganda. En Afrique australe, le temps de passage à la frontière entre l'Afrique du Sud et le Zimbabwe a atteint six jours en 2003. En Asie centrale, les camions peuvent passer trois jours à la frontière avec l'Ouzbékistan.
Un dernier délai se produit lors du dédouanement final de la marchandise dans la capitale du pays enclavé.
« En définitive, les marchandises en transit auront subi trois à quatre procédures de formalités douanières, contre une seule pour celles des pays côtiers, révèle l'étude Landlocked Countries. »
Coûts de transport maritime et prix des denrées alimentaires
D'après un article de la Banque mondiale sur la hausse des prix des denrées alimentaires publié au début du mois lors des réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale, les coûts de transport maritime constituent un composant important des prix des denrées alimentaires. Ils sont « en général bien plus élevés » dans de nombreux pays à faible revenus que dans les pays industrialisés de l'OCDE.
À titre d'exemple, bien avant la récente flambée des cours du pétrole, les camionneurs des pays importateurs de pétrole comme la Zambie payaient déjà le carburant jusqu'à 50 % de plus que leurs confrères d'autres pays de la région.
L'imprévisibilité constitue un problème
Les retards augmentent les coûts et l'imprévisibilité des livraisons ; cela constitue aussi bien un énorme problème que le long processus de transport lui-même, révèle l'étude.
L'indice des performances logistiques de la Banque mondiale qui s'appuie sur les avis des chargeurs recueillis de par le monde indique qu'en matière de commerce, la fiabilité est tout aussi importante que la rapidité avec laquelle la marchandise arrive à destination.
L'étude Landlocked Country indique que l'incertitude pousse certaines sociétés à recourir à des moyens de transport coûteux mais plus fiables, comme le transport aérien, ou encore à se procurer des stocks importants de marchandises pour toute une année.
La Banque se concentre sur la réduction des délais et de l'incertitude
D'autres facteurs font augmenter les coûts, tels les cartels dans le secteur du camionnage, tant dans les pays enclavés que dans les pays côtiers, ainsi que les pots-de-vin.
« Les paiements de facilitation » représentent un « grave problème » sur certains corridors. Les barrages routiers En Afrique occidentale ajoutent 10 % aux charges indirectes et peuvent intervenir tous les 30 km, voire même plus fréquemment.
L'étude révèle que la corruption peut prendre des proportions importantes aux passages de frontières. Un camionneur kirghiz entrant en Ouzbékistan doit payer 700 dollars pour passer la frontière, le quart de cette somme représentant des frais non officiels.
La simplification des procédures d'import-export pourrait réduire les coûts aux consommateurs et améliorer la capacité des nations en matière de commerce, de croissance et pour favoriser les investissements, déclare M. Raballand. De tels changements rencontrent cependant des obstacles.
« Le problème qui se pose avec le système est que de gros intérêts sont en jeu. De nombreuses personnes perçoivent des millions de dollars grâce au système actuel. »
La réduction des droits de douane peut probablement simplifier le système logistique mais elle n'est pas une tâche aisée car ces droits représentent une partie importante des recettes publiques des pays enclavés, déclare M. Raballand. L'autre option est de réduire autant que possible les délais et de limiter les incertitudes.
« La réduction des coûts suppose une analyse de la prestation des services », déclare M. Marteau. « Nous connaissons des moyens de réduire les coûts, mais nous ne savons pas si les consommateurs pourront bénéficier des économies induites. C'est pour cette raison que nous avons insisté sur le facteur temps, parce tout le monde pourra en tirer profit. Normalement, cette réduction de temps devrait donner lieu à une diminution des facteurs de coûts et à terme des coûts de transport. Mais de nombreuses conditions subsistent. »