Pourquoi la Banque mondiale a-t-elle décidé de réviser le seuil international de pauvreté, et pourquoi maintenant ?
Il est indispensable d’actualiser périodiquement le seuil international de pauvreté afin de refléter les évolutions de niveau des prix dans le monde. Depuis 2015, année de la dernière révision en date, nous utilisions le seuil mondial de 1,90 dollar. À la suite des travaux d’actualisation que nous venons d’entreprendre, le nouveau seuil, en vigueur à partir de l’automne 2022, se situe désormais à 2,15 dollars.
Quel est le nouveau seuil international de pauvreté et, en se fondant sur cet indicateur, combien de personnes vivent dans l’extrême pauvreté dans le monde ?
Le nouveau seuil international de pauvreté, basé sur les prix de 2017, est fixé à 2,15 dollars. Ainsi, toute personne qui dispose de moins de 2,15 dollars par jour est considérée comme vivant dans l’extrême pauvreté. Un peu moins de 700 millions de personnes dans le monde se trouvaient dans cette situation en 2017.
Pourquoi relever le seuil de pauvreté ? Et pourquoi le seuil de 1,90 dollar, utilisé par tous, ne convenait-il plus ?
Le seuil international de pauvreté est actualisé de manière périodique afin de tenir compte de l’évolution des prix dans le monde. Le relèvement de ce seuil reflète la hausse des coûts supportés par les populations des pays à faible revenu pour répondre à leurs besoins essentiels (alimentation, habillement et logement) entre 2011 et 2017, par rapport au reste du monde. Autrement dit, la valeur réelle de 2,15 dollars aux prix de 2017 est la même que celle de 1,90 dollar aux prix de 2011.
Qu’en est-il alors des estimations précédentes ?
Nous avons effectué une analyse rétrospective des estimations concernant les années précédentes afin de réévaluer les tendances de recul de la pauvreté sur les trente dernières années. Ces tendances continuent de montrer que la lutte contre la pauvreté dans le monde a largement porté ses fruits depuis 1990, mais que les progrès avaient marqué le pas ces dernières années. Avec les nouvelles données sur les prix, l’extrême pauvreté progresse légèrement dans toutes les régions, à l’exception de l’Afrique subsaharienne, où la baisse du niveau des prix conduit à une réduction de 3,2 points de pourcentage de l’extrême pauvreté. Cependant, l’Afrique subsaharienne reste la région dans laquelle l’extrême pauvreté est le plus répandue. Pour de plus amples détails, consultez ce billet (a). Il reste par conséquent encore beaucoup à faire pour permettre à ceux qui vivent dans la pauvreté de s’en sortir, d’autant plus que la COVID-19 a défait certains des progrès accomplis au fil des années.
Qu’est-ce que la parité de pouvoir d’achat et comment est-elle obtenue ?
La parité de pouvoir d’achat (PPA) nous permet de transposer le revenu et la consommation de chaque pays dans des termes comparables au niveau mondial. Ce taux de conversion est calculé en collectant des données sur les prix dans l’ensemble des pays du monde. C’est le Programme de comparaison internationale (PCI) (a) qui est chargé de collecter ces données et de déterminer les PPA pour une année donnée. Le PCI est un programme de statistique indépendant, qui dispose d’un bureau mondial hébergé par la Banque mondiale.
Dois-je utiliser ce nouveau seuil de pauvreté pour planifier les programmes et politiques à mettre en place dans un pays donné ?
Alors que l’adoption de la nouvelle série de PPA et du nouveau seuil international de pauvreté n’entraînera pas une modification très sensible du taux d’extrême pauvreté dans le monde, il est possible que l’incidence de la pauvreté dans un certain nombre de régions et de pays soit considérablement modifiée.
Il est cependant important de souligner que le seuil international de pauvreté est surtout utilisé pour évaluer l’évolution de l’extrême pauvreté à l’échelle mondiale et pour mesurer ainsi les progrès accomplis au regard des objectifs mondiaux fixés par la Banque mondiale, les Nations Unies et d’autres partenaires de développement. En revanche, pour informer les politiques publiques d’un pays ou cibler ses programmes en direction des plus pauvres, il convient d’utiliser plutôt son seuil national de pauvreté.
Cette démarche n’est-elle pas trop centrée sur les aspects monétaires ? Qu’en est-il des autres dimensions de la pauvreté ?
Il existe de nombreux indicateurs non monétaires (en matière d’éducation, de santé, d’assainissement, d’eau, d’électricité, etc.) qui sont extrêmement importants pour pouvoir appréhender les nombreuses dimensions de la pauvreté telle qu’elle est vécue par les personnes concernées. Ils viennent en complément des mesures monétaires de la pauvreté et doivent s’inscrire dans les actions qui visent à améliorer les conditions de vie des plus pauvres.
Pour tenir compte de ces multiples dimensions, la Banque mondiale effectue un suivi de la pauvreté multidimensionnelle (a) qui intègre plusieurs dimensions non monétaires de la pauvreté.
La Banque mondiale peut-elle encore atteindre son objectif de ramener le taux d’extrême pauvreté à 3 % (ou moins) d’ici 2030 ?
Dans le contexte de la pandémie, les gens auront encore plus de difficultés à sortir de l’extrême pauvreté et à progresser dans l’échelle des revenus. Pour mettre fin à l’extrême pauvreté d’ici 2030, les pays devront prendre des décisions stratégiques bien pesées qui viseront à rendre la croissance plus inclusive ; à privilégier les investissements dans l’éducation, la santé, l’eau et l’assainissement et les infrastructures « intelligentes » au bénéfice des plus pauvres ; et à aider la population à protéger des gains et des biens durement acquis afin de ne pas rebasculer dans la pauvreté sous l’effet d’un choc économique, d’une sécheresse ou d’une maladie.
Comment le seuil international de pauvreté est-il calculé ?
On s’intéresse d’abord au seuil de pauvreté défini par chaque pays, qui reflète en règle générale le montant en dessous duquel un habitant de ce pays ne peut pas subvenir à ses besoins essentiels sur le plan de l’alimentation, de l’habillement et du logement. Comme on peut s’y attendre, les seuils des pays riches sont en général supérieurs à ceux des pays plus pauvres.
Néanmoins, lorsque l’on veut connaître le nombre de personnes dans le monde qui vivent dans l’extrême pauvreté, on ne peut pas juste additionner les taux de pauvreté nationaux des différents pays. Cela reviendrait à utiliser une mesure différente dans chaque pays pour déterminer qui est pauvre. Nous avons donc besoin d’un seuil qui mesure la pauvreté dans tous les pays avec un même étalon.
En 1990, un groupe de chercheurs indépendants associé à la Banque mondiale a étudié les seuils nationaux de pauvreté de certains des pays les plus pauvres du monde, puis les a convertis dans une monnaie commune en utilisant des taux de change en PPA. Ainsi, le taux de conversion utilisé garantit que les prix d’une même quantité de biens et de services sont équivalents d’un pays à un autre. À la suite de cette conversion, il est apparu que dans six de ces pays très pauvres dans les années 1980, la valeur du seuil national de pauvreté était d’environ 1 dollar par jour et par personne (aux prix de 1985). C’est ainsi qu’a été défini le premier seuil international de pauvreté en dollars par jour.
Le seuil international de pauvreté de 1,90 dollar, qui reste en vigueur jusqu’à l’automne 2022, résulte de la moyenne des seuils nationaux de pauvreté de 15 pays pauvres dans les années 1990, exprimés en PPA de 2011. À l’époque, le choix de ces 15 pays s’appuyait sur un ensemble limité d’informations. Grâce à la collecte et à l’analyse de nouvelles données issues d'autres pays à faible revenu, nous avons élargi le groupe de référence. Le seuil international de pauvreté correspond désormais à la médiane des seuils nationaux de pauvreté de 28 pays parmi les plus pauvres du monde, exprimés en PPA de 2017. Pour de plus amples détails sur la méthodologie de calcul et de révision du seuil international de pauvreté, consultez ce billet (a) et ce document de travail (a). Pour savoir comment le seuil international de pauvreté était révisé par le passé, vous pouvez vous reporter à Ferreira et al. (2016) (a) et Ravallion et al. (2009) (a).
Dans quelle mesure les PPA de 2017 modifient-elles les estimations des chiffres de la pauvreté mondiaux, régionaux et nationaux ?
Les PPA de 2017 ne modifient pas les chiffres de la pauvreté mondiale de manière substantielle. En revanche, des changements significatifs apparaissent au niveau régional. L’extrême pauvreté recule en Afrique subsaharienne et progresse légèrement dans chacune des autres régions, ce qui donne une variation quasi nulle au niveau mondial. L’Afrique subsaharienne reste la région où le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté est le plus élevé.
Avec les PPA de 2017, les estimations de pauvreté de quelques pays évoluent considérablement, ce qui modifie le classement de ces pays par rapport à d’autres. La plupart de ces changements reflètent des améliorations dans la qualité des données sur les prix. Pour de plus amples détails sur l’évolution des chiffres de la pauvreté au niveau mondial, régional et national, vous pouvez consulter ce document de travail (a), ce billet (a) et celui-ci (a).
Pourquoi le seuil international de pauvreté est-il passé de 1,90 dollar à 2,15 dollars, alors que la pauvreté mondiale reste inchangée ou presque ?
La valeur nominale du seuil international de pauvreté est passée de 1,90 dollar aux prix de 2011 à 2,15 dollars aux prix de 2017. En revanche, la valeur réelle du seuil international de pauvreté est pratiquement identique. Autrement dit, un panier de biens et de services qui coûtait 1,90 dollar en 2011 dans un pays à faible revenu type coûtait en moyenne 2,15 dollars en 2017.
Quels autres seuils de pauvreté la Banque mondiale utilise-t-elle pour suivre les progrès de la lutte contre la pauvreté dans le monde ?
La Banque mondiale dispose de différents seuils de pauvreté pour mesurer la pauvreté monétaire. À commencer par le seuil international de pauvreté qui sert à mesurer l’extrême pauvreté. Ce seuil est particulièrement utile lorsqu’il s’agit d’évaluer la pauvreté dans les pays à faible revenu. Pour les pays plus riches, deux seuils plus élevés sont plus efficaces pour mesurer la pauvreté. Sur la base des PPA de 2017, ces seuils sont de 3,65 dollars pour les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure et de 6,85 dollars pour les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure. Pour entrer davantage dans les détails techniques, reportez-vous à Jolliffe et Prdyz (2016) (a) ainsi que Jolliffe et al. (2022) (a) pour le calcul du seuil international de pauvreté et des seuils plus élevés sur la base des PPA de 2011 et de 2017, respectivement.
La Banque mondiale a également recours à un seuil de pauvreté « sociétale » qui rend compte d’une conception plus relative de la pauvreté. Sur la base des PPA de 2011, le seuil de pauvreté sociétale correspond à 1,00 dollar plus la moitié du niveau médian de consommation du pays, ou au seuil international de pauvreté si cette somme lui est inférieure. Le seuil de pauvreté sociétale s’accroît à mesure que le pays se développe (et que la médiane augmente). Sur la base des PPA de 2017, ce seuil correspond à 1,15 dollar auquel on adjoint la moitié du niveau médian de consommation du pays, ou au seuil international de pauvreté si cette somme lui est inférieure.
Comment expliquer l’évolution du nombre de personnes pauvres selon les trois seuils de pauvreté ?
En raison de l’actualisation des PPA, le taux mondial d’extrême pauvreté pour 2017 (dernière année pour laquelle nous disposons de données mondiales sur la pauvreté) fléchira légèrement, passant de 9,3 à 9,1 % (a). Le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté chutera donc de 15 millions pour atteindre 680 millions au total. Au seuil de 3,20 dollars (utilisé pour les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure), le nombre de personnes vivant dans la pauvreté augmentera de 43 millions en 2017. Au seuil de 5,50 dollars (utilisé pour les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure), le nombre de pauvres va s’accroître de 321 millions. La hausse plus forte au seuil de 5,50 dollars s’explique par la hausse du seuil de pauvreté des pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure en termes réels. Autrement dit, depuis la dernière révision des seuils internationaux, les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure ont relevé leurs critères de détermination de la pauvreté ; par conséquent, la part de la population mondiale sous cette barre est plus importante.
On peut s’interroger sur le fait que le seuil international de pauvreté augmente de 0,25 dollar alors que le nombre de personnes pauvres se réduit légèrement dans le monde. La raison en est que, dans certains pays pauvres, le pouvoir d’achat des habitants a légèrement augmenté. Toutefois, il importe de noter que la valeur réelle du seuil de pauvreté international demeure pratiquement inchangée. C’est juste qu’elle s’exprime dans des prix différents aujourd’hui.
Le seuil international de pauvreté établi et révisé par la Banque mondiale servira-t-il à évaluer la première cible du premier Objectif de développement durable (ODD) des Nations Unies ?
L’ODD 1.1, placé sous l’égide de la Banque mondiale, vise à éradiquer l’extrême pauvreté sous toutes ses formes, partout dans le monde. Lorsque la Banque mondiale adoptera le seuil de 2,15 dollars à l’automne 2022, ce nouveau seuil servira également au suivi de l’ODD 1.1.
Quand aura lieu la prochaine actualisation des données de PPA ?
La prochaine actualisation des données de PPA est prévue pour l’année de référence 2021 ; les nouvelles PPA devraient être publiées en 2023.
Avec l’adoption des PPA de 2017, les PPA de 2011 seront-elles abandonnées pour mesurer la pauvreté dans le monde ?
Nos estimations de la pauvreté dans le monde reposeront sur les PPA de 2011 jusqu’à l’automne 2022. À partir du prochain rapport sur la pauvreté et la prospérité partagée, les taux basés sur les PPA de 2017 serviront d’indicateurs phares. Vous pourrez toutefois continuer à consulter les estimations basées sur les PPA de 2011 sur la plateforme Pauvreté et inégalités (a), et ainsi comparer les données actualisées avec d’autres PPA.
Quelle était la recommandation de la Commission sur la pauvreté mondiale concernant la révision du seuil international de pauvreté au regard des nouvelles données de PPA ?
En 2015 (a), la Banque mondiale a demandé à un groupe d’économistes de premier plan, emmené par Sir Anthony Atkinson, de la conseiller sur la méthodologie la plus adaptée pour mesurer et évaluer la pauvreté mondiale jusqu’en 2030, date butoir du premier objectif que la Banque s’est fixé concernant l’extrême pauvreté.
Le rapport de la Commission Atkinson sur la pauvreté mondiale (a) formule plusieurs recommandations visant à améliorer les données et la méthodologie employées pour mesurer la pauvreté dans le monde. La 10e de ces recommandations préconise de ne pas réviser les estimations de pauvreté mondiale sur la base de nouvelles PPA avant 2030. La Commission se fondait sur les fortes variations qu’avaient provoquées les changements de méthodologie introduits lors des précédentes révisions des PPA sur ces estimations.
Dans sa réponse à la Commission (a), la Banque mondiale avait déclaré qu’elle prévoyait de suivre cette recommandation, mais laissait ouverte la possibilité que de futurs cycles de PPA soient utilisés avant 2030, si les méthodes du Programme de comparaison internationale (PCI) se stabilisaient, afin que l’évolution des PPA reflète les changements réels des prix.
Plusieurs chercheurs au sein (a) de la Banque mondiale et d’autres institutions (a) ont constaté la stabilité des méthodes du PCI entre le cycle de 2011 et celui de 2017. La Banque mondiale a ainsi décidé d’adopter les PPA de 2017 aux fins de suivi de la pauvreté mondiale à partir de l’automne 2022. En outre, la décision de s’appuyer sur les données de PPA de 2017 est conforme à la pratique en usage : utiliser des données plus récentes et de meilleure qualité lors qu’elles sont disponibles.
À quoi doit-on principalement l’évolution du seuil international de pauvreté de 1,90 dollar à 2,15 dollars ?
L’évolution du seuil international de pauvreté s’explique essentiellement par les changements intervenus dans les parités de pouvoir d’achat des pays à faible revenu entre 2011 et 2017 (c’est-à-dire les changements de prix dans les pays à faible revenu entre 2011 et 2017 par rapport au reste du monde). L’évolution du seuil international de pauvreté n’est pas due à des augmentations réelles des seuils de pauvreté dans les pays à faible revenu ni au groupe de pays pour lesquels on dispose de seuils nationaux de pauvreté. Pour connaître le détail des facteurs à l’œuvre dans l’évolution du seuil international de pauvreté, vous pouvez consulter ce document de travail (a).