DISCOURS ET TRANSCRIPTIONS

Un monde sans pauvreté est à notre portée -- Discours du président de la Banque mondiale Jim Yong Kim à l’Université Georgetown

02 avril 2013


Président de la Banque mondiale Jim Yong Kim Washington, DC

Tel que préparé pour l'allocution

Un monde sans pauvreté est à notre portée

Je vous remercie. C'est toujours un plaisir de visiter une grande institution universitaire engagée dans la préparation des dirigeants de demain.

Je suis ici pour vous parler de l'avenir, de la possibilité de créer un monde débarrassé des fléaux de la pauvreté et de la marginalisation économique.

Mon message est le suivant : un tel monde est à notre portée. Mais pour réussir nous devons prendre certaines décisions difficiles et changer notre façon de travailler ensemble.

Pour comprendre l’opportunité historique qui nous est offerte, et ce que nous devons faire pour transformer l’histoire, je voudrais commencer par quelques observations sur l'état du développement dans le monde aujourd'hui et les perspectives à moyen terme.

Panorama du développement dans le monde 

Je constate tout d'abord que la crise qui a paralysé l'économie mondiale au cours des quatre dernières années et demie ne manifeste pas encore de signes évidents d’accalmie. De si nombreuses « pousses vertes » ont fleuri et dépéri ces deux dernières années que nous devons rester prudents en évaluant l’avenir. Comme le démontrent les événements survenus récemment à Chypre, il est trop tôt pour crier victoire. En même temps, il y a de plus en plus de raisons de penser que nous sommes sur la bonne voie, même s’il est évident que certaines difficultés nous attendent.

Les conditions du marché en Europe se sont améliorées depuis les turbulences du printemps et de l'été derniers. Grâce à la détermination des dirigeants européens à contenir l'instabilité financière, de nombreux indicateurs de risques sont retombés aux niveaux observés pour la dernière fois au début de 2010, c'est-à-dire avant l'apparition des craintes au sujet de la viabilité budgétaire de la zone euro. Même si les décideurs européens doivent être salués pour ces améliorations, il importe de reconnaître que l’injection de liquidité fait seulement gagner du temps ; elle ne règle pas le problème. Il reste à prendre de nombreuses autres décisions difficiles concernant les politiques budgétaires et bancaires.

Dans l'économie réelle, on observe quelques faibles signes d'une reprise en cours. Dans les pays à revenu élevé, les contrecoups du rééquilibrage budgétaire continuent de peser sur la croissance, mais nous avons peut-être franchi un cap. Ici aux États-Unis, les marchés du logement et du travail s'améliorent (plus d'un million de nouveaux emplois ont été créés dans l'économie américaine au cours des six derniers mois), mais force est de constater qu’une incertitude persiste quant à l'impasse sur la politique budgétaire. En Europe, on prévoit que le PIB va se contracter de 0,2 % cette année, et certaines des difficultés devraient encore persister jusqu’à la fin de 2013 et au début de 2014.

Quand nous regardons la situation économique des pays en développement, les perspectives sont plus prometteuses. Ils devraient afficher cette année une croissance de 5,5 % ; selon nos prévisions, cette croissance devrait s'accélérer pour atteindre 5,7 % et 5,8 % en 2014 et 2015, respectivement. Des entreprises dynamiques et compétitives se créent et prospèrent dans l’ensemble du monde en développement, qu'il s'agisse de petites entreprises émergentes ou de multinationales.

J'ai visité récemment Chengdu en Chine, où j'ai rencontré une femme d’affaires nommée Zhang Yan. Il y a quelques années, elle nourrissait le grand rêve de créer une entreprise, mais n'avait pas accès au financement. Elle a pu obtenir un prêt de 10 000 dollars dans le cadre d'un programme de financement établi par une banque locale à l'intention des femmes d'affaires et appuyé par la Société financière internationale, le guichet des prêts au secteur privé du Groupe de la Banque mondiale. Mme Zhang s'est servie de son prêt pour ouvrir un garage automobile ; aujourd'hui, elle dirige une entreprise dynamique qui emploie plus de 150 personnes. Je viens juste de recevoir un email d’elle ce week-end. Elle envisage d’ouvrir un troisième garage et continuera de promouvoir la responsabilité sociale en recrutant et en formant des femmes qui n’ont pas eu accès auparavant à des bons emplois. Son histoire est semblable à celle de millions de personnes ambitieuses dans le monde entier : quand on leur donne l'occasion de réussir en affaires, elles la saisissent. Ensuite, elles créent des emplois et des opportunités pour leurs voisins.

Cette croissance du secteur privé a des retombées spectaculaires sur le développement, surtout quand elle est combinée à des actions plus efficaces en faveur des pauvres menées par les pouvoirs publics, les bailleurs de fonds internationaux et la société civile. Aujourd'hui, l’extrême pauvreté est en recul. En 1990, 43 % des habitants des pays en développement vivaient avec moins de 1,25 dollar par jour. En 2010, soit 10 ans plus tard, nous estimons que le taux de pauvreté à l'échelle mondiale a chuté à 21 %. Le premier objectif du Millénaire pour le développement, qui consiste à réduire de moitié l’extrême pauvreté, a été atteint cinq ans avant à l’avance.

Et les progrès accomplis dans le secteur social sont sans doute encore plus remarquables. Durant la dernière décennie, 8 millions de personnes atteintes du sida ont été soignées aux antirétroviraux. Le nombre annuel de décès attribuables au paludisme a chuté de 75 %. Le nombre total d'enfants non scolarisés a diminué de plus de 40 %.

À l’avenir, nous sommes convaincus que les conditions sont réunies pour que perdure la solide performance dans les pays en développement. Mais nous ne saurions tenir pour acquis les taux de croissance élevés. Pour maintenir des taux de croissance de 6 %, voire 7 ou 8 % comme bien des économies durant la période d'expansion qui a précédé la crise, il faudra persévérer dans les réformes. Par exemple, les pays doivent continuer à améliorer la qualité de l'éducation, de la gouvernance et du climat des affaires, à moderniser leurs infrastructures, à garantir la sécurité énergétique et alimentaire, et à renforcer l'intermédiation financière.

Par ailleurs, de nouveaux risques apparaissent. En particulier, à moins de prendre immédiatement des mesures audacieuses, il y a tout lieu de craindre qu'un réchauffement désastreux de la planète anéantisse la majeure partie des progrès que nous avons enregistrés.

Le changement climatique n'est pas simplement un problème écologique. C'est une menace fondamentale au développement économique et à la lutte contre la pauvreté.

D'après un récent rapport du Groupe de la Banque mondiale, si nous ne prenons pas des mesures dès maintenant pour réduire les émissions dangereuses, la température moyenne de la planète augmentera de 4 degrés Celsius (soit plus de 7 degrés Fahrenheit) d'ici à la fin de ce siècle.

Si la planète se réchauffe de 4 degrés, le relèvement du niveau de la mer atteindra 1,50 mètre, mettant en danger plus de 360 millions de citadins. Les zones touchées par la sécheresse passeront de 15 % des terres cultivables à l'échelle mondiale aujourd'hui à près de 44 %, l'Afrique subsaharienne étant la plus durement touchée. Des phénomènes météorologiques extrêmes surviendront à une fréquence dévastatrice, entraînant des coûts exceptionnels en vies humaines et en argent. Et ce sont les populations pauvres, c'est-à-dire celles qui sont le moins responsables du changement climatique et le moins capables de financer l'adaptation, qui en souffriront le plus.

Un deuxième défi crucial à moyen terme est celui des inégalités. Bien souvent,  la simple mention de l’inégalité provoque un silence embarrassé. Nous devons rompre le tabou du silence sur ce problème difficile mais éminemment important. Même si l'expansion économique rapide des pays en développement se poursuit, cela ne signifie pas que tout le monde en bénéficiera automatiquement. Assurer une croissance inclusive est à la fois un impératif moral et une condition essentielle pour un développement économique soutenu.

Malgré les avancées spectaculaires de la dernière décennie, nous savons que 1,3 milliard environ de personnes vivent encore dans une extrême pauvreté, 870 millions de personnes ont faim chaque jour, et 6,9 millions d'enfants de moins de cinq ans meurent chaque année.

Quelles conclusions pouvons-nous tirer de cet aperçu général du développement dans le monde ? Pour ma part, j'en tire deux enseignements essentiels en ce qui concerne le travail du Groupe de la Banque mondiale.

Accélérer la fin de l’extrême pauvreté

Le premier enseignement est le suivant : il est temps de s'engager à éliminer l’extrême pauvreté. Nous sommes à un tournant de l'histoire, où les succès des décennies antérieures et les perspectives économiques de plus en plus favorables se conjuguent pour offrir aux pays en développement une occasion, la toute première, de mettre fin à l’extrême pauvreté en une génération. Il nous incombe désormais de répondre à ces circonstances favorables par des objectifs clairement définis et une action résolue afin de tirer parti de cette opportunité historique.

Nous savons qu'il ne sera pas facile d'éliminer la pauvreté. Au cours des prochaines années, à mesure que nous avancerons vers cet objectif, la tâche sera de plus en plus ardue, car les personnes encore pauvres seront les plus difficiles à atteindre.

Certaines vivent dans les régions densément peuplées des pays émergents comme l'État indien de l’Uttar Pradesh, que j'ai visité le mois dernier et qui représente 8 % des personnes vivant dans l’extrême pauvreté dans le monde. Les populations de cet État ont tant de besoins, notamment d'infrastructures améliorées, de systèmes éducatifs plus solides préparant les élèves à l’entrée dans la population active, et d'une meilleure intégration des femmes et des autres groupes vulnérables au marché du travail.

D'autres personnes prises au piège de la pauvreté vivent dans des pays confrontés à des cycles de fragilité. Une forte proportion croissante de pauvres vit dans des États fragiles ou en situation de conflit, où les besoins de développement et les obstacles à celui-ci sont généralement les plus importants. Les États fragiles doivent être au premier plan et au cœur de tout programme visant à mettre fin à l’extrême pauvreté.

Le développement est difficile dans les États fragiles, mais avec des solutions innovantes, le progrès réel est possible. Je l'ai constaté en Afghanistan il y a trois semaines. Par exemple, nous sommes en train d'aider à former des volontaires afghans à l'utilisation de téléphones intelligents adaptés au GPS avec appareil intégré pour surveiller des projets d'irrigation dans leurs communautés, ce qui renforce leur sentiment d’appropriation. Leurs photos sont désormais transmises chaque jour à nos bureaux de Kaboul. Les appareils ont aussi une fonction que James Bond apprécierait : un bouton permettant d'effacer toutes les données, notamment les photos et les rapports, au cas où les travailleurs sont interrogés à un poste de contrôle. En Afghanistan, malgré la persistance des problèmes de sécurité et un environnement miné par la corruption, de nombreuses entreprises envisagent aujourd'hui la possibilité d'investir dans les mines, l'énergie et les transports. L'aéroport international regorge d'avions commerciaux -- ce qui représente un changement marquant par rapport à la situation qui prévalait il y a une décennie. De surcroît, 27 % des députés sont des femmes, une évolution encore plus remarquable par rapport au passé.

L'expérience de la communauté des bailleurs de fonds en Afghanistan illustre les risques élevés de l'activité dans les États fragiles. Mais nous voyons de plus en plus comment la coordination des efforts de la communauté internationale et des administrations locales peut produire des résultats porteurs de transformation. Nous sommes en train d'accumuler des enseignements sur la façon d'assurer la sécurité, la stabilité politique et le développement économique. Le mois prochain, M. Ban Ki-moon, Secrétaire général de l'ONU, et moi-même visiterons ensemble la région des Grands Lacs en Afrique de l'Est dans le cadre d'une coopération visant à mettre en pratique ces enseignements de façon plus généralisée. Je voudrais être clair là-dessus, j’ai travaillé dans les États fragiles et en situation de conflit pendant  la majeure partie de ma vie d’adulte et la poursuite du renforcement de l’action du Groupe de la Banque mondiale dans ces pays constituera l’une de mes plus grandes priorités.

Promouvoir une prospérité partagée

En plus d'accélérer l'élimination de l’extrême pauvreté, je pense que le deuxième enseignement pour notre époque est que la lutte contre l’extrême pauvreté ne suffit pas. Nous devons travailler collectivement pour aider toutes les personnes vulnérables partout à s'élever bien au-dessus du seuil de la pauvreté. Au Groupe de la Banque mondiale, cette priorité accordée à l’équité est au cœur de notre mission qui est de promouvoir une prospérité partagée.

Au cours des neuf derniers mois, j'ai entendu dire à maintes reprises que les dirigeants clairvoyants du monde entier sont préoccupés par l'inégalité et l'exclusion.

Ils veulent créer des possibilités économiques pour leurs citoyens vulnérables, et apporter la croissance aux pauvres et aux personnes relativement défavorisées, que ceux-ci vivent avec un dollar, deux dollars ou dix dollars par jour. Ils veulent aider les personnes qui viennent seulement d'échapper à l’extrême pauvreté à obtenir les ressources dont elles ont besoin pour accéder à la classe moyenne. Et ils veulent assurer la pérennité des résultats obtenus au cours des dernières décennies, sur les plans social, budgétaire et environnemental.

En Tunisie en janvier dernier, j'ai rencontré des dirigeants de la société civile qui étaient à l'avant-garde du mouvement qui a lancé le Printemps arabe. Leur message était clair : si la prospérité n'est pas largement partagée, si elle ne repose pas sur un processus de développement mettant à contribution tous les membres de la société, et plus particulièrement les femmes et les jeunes, les tensions pourraient monter jusqu'au point de rupture.

De même, je crois fermement que la prospérité doit être partagée, non seulement entre les particuliers, les collectivités et les nations, mais aussi entre les générations. Si nous ne prenons pas immédiatement des mesures pour freiner le changement climatique, nous léguerons à nos enfants et petits-enfants une planète méconnaissable.

Le Groupe de la Banque mondiale travaille actuellement sur une stratégie renforcée visant à consolider ses interventions en matière de lutte contre le changement climatique et à catalyser une action urgente des partenaires mondiaux à l'échelle nécessaire. Nous explorerons un certain nombre d'idées audacieuses telles que de nouveaux mécanismes de soutien et de connexion des marchés du carbone ; des projets politiquement réalisables d'élimination des subventions aux combustibles fossiles ; des investissements accrus dans une agriculture intelligente sur le plan climatique ; et des partenariats innovants pour bâtir des villes propres. Nous examinons notre travail dans chaque secteur pour nous assurer que tous nos projets reflètent l'urgence de combattre le changement climatique. Nous pouvons encore éviter que la température mondiale augmente de 4 degrés si nous élaborons des plans et menons une action concertée qui soit à la mesure du défi auquel nous sommes confrontés. Il me semble que les efforts que nous avons déployés jusqu’à présent pour lutter contre le changement climatique ont été trop circonscrits, à petite échelle et non coordonnées. Nous pouvons mieux faire.

Deux objectifs pour orienter l’action du Groupe de la Banque mondiale

Maintenant, je vais vous dire de façon plus précise comment le Groupe de la Banque mondiale se mobilise pour éliminer l’extrême pauvreté et stimuler une prospérité partagée.

Nous allons adopter deux objectifs pour orienter notre stratégie.  Ce ne sont pas des objectifs que le Groupe de la Banque mondiale réalisera lui-même. Ce sont des objectifs qu’atteindront nos partenaires, c'est-à-dire nos 188 pays membres, avec le concours de l’ensemble de la communauté internationale du développement.

Le premier objectif est de mettre fin à l’extrême pauvreté à l'horizon 2030. Cet objectif étant désormais à notre portée, nous voulons fixer un calendrier volontariste pour concentrer nos efforts et en maintenir un sentiment d’urgence.

L'horizon 2030 est particulièrement ambitieux. Si vous en doutez, imaginez que le premier objectif du Millénaire pour le développement était de réduire de moitié la pauvreté absolue sur une période de 25 ans. Pour atteindre l'objectif de 2030, nous devons réduire la pauvreté mondiale de moitié une fois, la réduire de moitié une deuxième fois, et la réduire pratiquement de moitié une troisième fois, le tout en moins d'une génération. Si les pays peuvent le faire, la pauvreté absolue sera ramenée en deçà de 3 %. Nos économistes ont fixé ce seuil parce qu’en deçà de 3 %, la nature du défi de la pauvreté changera fondamentalement dans la plupart des régions du monde. La priorité passera des mesures structurelles de grande envergure à des actions sporadiques de lutte contre la pauvreté visant des groupes vulnérables bien précis.

D'après notre équipe, trois facteurs seront nécessaires pour obtenir ce résultat extraordinaire.

Premièrement, pour atteindre notre objectif, il faudra accélérer les taux de croissance observés au cours des 15 dernières années et, en particulier, assurer une croissance forte et soutenue en Asie du Sud et en Afrique subsaharienne. Deuxièmement, il faudra déployer des efforts pour promouvoir l’inclusion et réduire les inégalités et pour s'assurer que la croissance entraîne la réduction de la pauvreté, surtout par la création d'emplois. Et troisièmement, il faudra éviter ou atténuer les chocs éventuels tels que les catastrophes climatiques ou de nouvelles crises alimentaires, énergétiques ou financières.

La réalisation de ces objectifs nécessitera un surcroît de ressources. Cette année, le Groupe de la Banque mondiale négocie avec ses partenaires la reconstitution des ressources de l'Association internationale de développement (IDA), notre guichet de financement pour les 81 pays les plus pauvres. Avec l'assistance de l'IDA, des centaines de millions de personnes ont échappé à l’extrême pauvreté. L'une de mes plus grandes priorités consiste à réaliser une solide reconstitution des ressources de  l'IDA.

Il faudra déployer des efforts extraordinaires pour atteindre cet objectif de 2030. Quelqu'un, quelque part, pourrait-il douter que le jeu en vaille la chandelle ? Quiconque a vécu avec moins de 1,25 dollar par jour refuserait-il de se joindre à moi aujourd'hui pour vous dire qu'il est temps d'éliminer l’extrême pauvreté ? Quiconque a vu les bidonvilles de Johannesburg, d'Addis-Abeba, de Dacca ou de Lima refuserait-il de s'engager à promouvoir une vie meilleure pour tous ceux qui y vivent ? Y a-t-il quelqu'un ici aujourd'hui qui ne voudrait pas effacer cette tâche qui ternit notre conscience collective ?

Mais nous savons qu'il ne suffit pas de mettre fin à l’extrême pauvreté. Nous devons en plus nous employons à accroître les revenus des 40 % les plus pauvres des habitants de chaque pays.

La priorité accordée aux 40 % les plus pauvres intègre les deux éléments d'une prospérité partagée : l'impératif de la croissance économique, combiné à un profond souci d'équité. Elle nécessite que l’on se soucie non seulement de l'essor des économies en développement, mais directement du mieux-être des couches les plus pauvres de la société. C'est un objectif important pour tous les pays.

Bien que nos efforts soient particulièrement axés sur les pays ayant le moins de ressources, notre travail ne se limite pas aux pays pauvres. Nous intervenons dans tout pays où il y a des pauvres.

La tâche n’est pas facile, mais elle peut être accomplie. J'étais récemment au Brésil, où j'ai vu comment des politiques publiques bien conçues peuvent réduire de façon spectaculaire les disparités de revenus. Le Brésil a accru l'accès à l'éducation et mis en place un programme de transferts conditionnels en espèces qui relève les revenus des ménages très pauvres. D'autres pays peuvent adopter et adapter de telles stratégies efficaces pour combattre l'inégalité dans leur propre contexte. Le succès peut se généraliser.

Le Groupe de la Banque mondiale sera là pour aider les pays à mettre fin à la pauvreté et pour stimuler la prospérité partagée, d'au moins quatre façons.

D'abord, ces objectifs nous permettront d'établir un ordre de priorité dans la sélection des projets où notre action peut avoir le plus d'impact. Ils enrichiront considérablement nos Stratégies de partenariat avec les pays, documents de politique détaillés définissant nos objectifs pour chacun de nos pays partenaires.

Par exemple, la semaine prochaine nous soumettrons à notre Conseil des administrateurs notre nouvelle stratégie de partenariat avec l'Inde, la première du genre conçue dans l'optique de ces deux objectifs. La contribution de l'Inde dans l'élimination de la pauvreté dans le monde pourrait être phénoménale. Au cours des cinq dernières années, près de 50 millions de personnes ont été affranchies de la pauvreté en Inde. Mais, pour la génération suivante, nous estimons qu'avec des efforts concertés, 300 millions de plus parmi les personnes vivant en Inde pourraient échapper à l’extrême pauvreté.

Deuxièmement, nous allons suivre de près et observer les progrès accomplis vers ces objectifs d'élimination de la pauvreté et de promotion de la prospérité partagée, et rendre compte chaque année des résultats obtenus et des écarts à combler.

Troisièmement, nous utiliserons notre pouvoir de mobilisation et de sensibilisation pour rappeler continuellement aux décideurs et à la communauté internationale les dispositions à prendre pour atteindre ces objectifs.

Récemment, plusieurs personnalités politiques courageuses se sont engagées à mettre fin à la pauvreté dans leur pays, notamment Dilma Rousseff du Brésil et Joyce Banda du Malawi. De même, le Président Barack Obama des États-Unis et le Premier ministre David Cameron du Royaume-Uni ont adopté l'objectif d'éliminer l’extrême pauvreté à l'échelle mondiale. Ces engagements audacieux requièrent de l'action. Le Groupe de la Banque mondiale sera un défenseur infatigable et un partenaire loyal en encourageant les décideurs à tenir leurs promesses envers les pauvres.

Et quatrièmement, nous nous emploierons à échanger avec nos partenaires des connaissances sur les solutions permettant d'éliminer la pauvreté et de promouvoir une prospérité partagée.

Pour atteindre leurs objectifs de développement, les pays auront besoin de politiques avisées et de financements suffisants. Mais ils devront aussi améliorer l’exécution, c'est-à-dire la manière d'appliquer les politiques sur le terrain afin d'obtenir des résultats.

Les pays sollicitent de plus en plus le Groupe de la Banque mondiale pour les aider à résoudre les difficultés au niveau de l’exécution. Ils nous disent que le nombre d'enfants inscrits dans leurs écoles atteint des niveaux records, mais les tests montrent qu'un trop grand nombre d'entre eux ne savent ni lire ni écrire en cinquième année d’études. Ils nous parlent des projets de nouvelles stations d'épuration, de nouvelles routes ou de nouveaux ponts ont été approuvés, mais ne sont toujours pas réalisés après plusieurs années. Ce sont des défaillances en matière de prestation et, pour de nombreux pays, ce sont les plus grands obstacles au développement.

C'est pour cela que nous travaillons avec les pays et les partenaires pour établir ce que nous appelons une science de la prestation pour le développement. En parvenant à maturité, ce nouveau domaine fournira aux praticiens du développement des connaissances, des outils et des réseaux d'appui. Il les mettra en rapport avec leurs pairs du monde entier, qui pourront les aider à résoudre des problèmes en temps réel. Un exemple récent est celui des ingénieurs modernisant le réseau électrique en République de Géorgie qui ont reçu des conseils de leurs homologues du Chili qui ont relevé des défis similaires.

En favorisant systématiquement ces connexions, la science de la prestation rehaussera l'impact des experts en résolution de problèmes à l'intérieur et à l'extérieur du Groupe de la Banque mondiale. Ce sont les intervenants de première ligne qui cherchent les moyens de fournir de l'énergie solaire à un demi-million de Mongols nomades, qui aident des villageois du Costa Rica à reconstruire après un tremblement de terre, ou qui conçoivent un montage financier susceptible de relancer un chemin de fer en difficulté en Afrique de l'Est.

En assurant la promotion du nouveau domaine qu'est la science de la prestation, nous aiderons nos partenaires à apprendre les uns des autres et à maximiser l'impact de chaque dollar dépensé pour enrayer la pauvreté et promouvoir la prospérité.

Conclusion : Quel type de monde léguerons-nous à nos enfants ?

Pour terminer, permettez-moi de relever que ce vendredi marque les 1 000 jours qui nous séparent de la fin de 2015, date butoir pour la réalisation de tous les huit objectifs du Millénaire pour le développement. Les progrès accomplis à cet égard sont impressionnants, mais ils restent inégaux selon les populations et les pays. Nous devons profiter de ces 1 000 derniers jours pour mener une action urgente en vue d’améliorer les vies des enfants et de leurs familles.

En nous préparant, nous devons également nous concentrer sur les étapes suivantes et sur la manière de maintenir sans relâche cette concentration dans les années à venir. De concert avec ses partenaires, le Groupe de la Banque mondiale est en train de préparer un programme ambitieux pour l'après-2015. En fait, je serai à Madrid ce week-end pour rencontrer les dirigeants de toutes les institutions des Nations Unies sous la direction du Secrétaire général Ban Ki-moon. Nous allons plus précisément nous employer à déterminer la façon dont nous pouvons œuvrer de concert en tant que système multilatéral pour accélérer les progrès au cours des 1 000 derniers jours.

Mais nous savons tous que les défis qui nous attendent sont considérables et que le progrès n’est jamais inévitable. Cela me revient lorsque je repense à un moment lors du mouvement des droits civiques des Noirs américains il y a exactement 50 ans ce mois.

En avril 1963, Martin Luther King était arrêté à Birmingham, en Alabama, pour avoir dirigé une vague de protestations visant à forcer les autorités locales à accélérer les réformes pour mettre fin à la ségrégation. De nombreux dirigeants religieux blancs modérés, des personnes qui se considéraient comme des alliées de la lutte en faveur des droits civiques, désapprouvaient ce qu’ils qualifiaient de tactiques « extrémistes » de M. King. Le jour de son arrestation, un groupe d’ecclésiastiques modérés publia dans le Birmingham News une lettre dans laquelle ils soutenaient que toutes les personnes sensées savaient que les Noirs américains finiraient par acquérir leurs droits, mais que M. King avait agi de manière « malavisée et inopportune » en voulant forcer le changement avant que le moment ne soit venu.

Dans sa « Lettre de la prison de Birmingham »,  M. King répondait que l’attitude des blancs modérés traduisait une « tragique idée fausse » que le temps apportera inévitablement le progrès. M. King écrit, et je cite : « Le progrès humain n’est ni automatique ni inévitable ; il procède des efforts inlassables des hommes [et des femmes]. » Fin de citation.

L’injustice ne disparaîtra pas de manière « inévitable ». L’injustice, écrit-il, doit être « déracinée par une action solide, persévérante et déterminée » stimulée par l’« urgence du moment ».

En fixant des objectifs pour notre organisation, des objectifs pour notre effort collectif en vue de mieux servir les pauvres et les vulnérables, nous devons réfléchir à l’exemple de Martin Luther King.

Nous fixons des objectifs précisément parce que rien n’est inévitable. Nous fixons des objectifs pour défier les obstacles externes, mais aussi pour défier notre propre inertie.  Nous fixons des objectifs pour rester alertes face à l’« urgence du moment », pour aller constamment au-delà de nos propres limites. Nous fixons des objectifs pour éviter de tomber dans le fatalisme ou la complaisance, deux ennemis mortels des pauvres.

Nous fixons des objectifs afin que, chaque jour, chaque heure, nous puissions nous assurer que nos actions sont en phase avec nos valeurs les plus profondes, celles que nous pouvons affirmer sans honte devant l’histoire.

 

Si nous agissons aujourd'hui, si nous poursuivons sans relâche ces objectifs consistant à mettre fin à l’extrême pauvreté et à stimuler une prospérité partagée, nous aurons la possibilité de créer pour nos enfants un monde qui ne se définit pas par des disparités criardes, mais par des possibilités illimitées. Un monde viable où tous les ménages ont accès à une énergie propre. Un monde où chacun mange à sa faim. Un monde où personne ne meurt d'une maladie évitable.

Un monde sans pauvreté.

C'est ce monde que nous voulons tous pour nous-mêmes, pour nos enfants, nos petits-enfants, et toutes les générations futures.

Comme M. King l’a dit, « Il est toujours temps de faire ce qui est juste. » L’opportunité est droit devant nous. Nous pouvons et nous devons saisir l’arc de l’histoire pour le tendre en direction de la justice.

Je vous remercie.

 

 

 


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