Fait exceptionnel pour un continent exportateur net de matières premières, la croissance est toujours au rendez-vous en Afrique. Au cours des deux dernières décennies, un bon nombre de pays africains ont démontré qu’ils pouvaient maintenir une trajectoire de croissance forte et surmonter « la malédiction des ressources naturelles ».
En dépit de facteurs externes défavorables, les pays africains entendent en effet bien prouver qu’ils sont capables de s’adapter à la chute des cours des matières premières et de générer une croissance économique pérenne et inclusive en diversifiant leur économie, en stimulant la productivité et en adoptant des politiques en faveur des pauvres. Tendance encourageante : dans le dernier rapport Doing Business, cinq pays africains occupaient les dix premières places du classement mondial 2013-14 des économies les plus réformatrices.
Aujourd’hui, l’Afrique est le continent qui attire le plus d’investisseurs après l’Amérique du Nord, ces derniers s’intéressant à d’autres marchés que le trio habituel constitué par l’Afrique du Sud, du Nigeria et du Kenya. Or, la hausse des investissements et une plus forte industrialisation sont autant de facteurs qui permettront au continent de créer des emplois et faire reculer la pauvreté.
La région peut se targuer d’avoir attiré un montant record d’investissements directs étrangers (IDE), ces derniers représentant 60 milliards de dollars, soit cinq fois plus qu’en 2000. L’investissement direct étranger en provenance de Chine a par exemple augmenté de 3,5 milliards de dollars en 2013 et la plupart des pays africains en ont bénéficié. Dans un pays comme l’Ethiopie, le montant total des IDE a représenté pas moins de 2% du PIB. Les investissements entre pays africains sont eux aussi en hausse, créant un cercle vertueux permettant d’attirer davantage d’IDE. Au cours des dix dernières années, la part des investisseurs africains dans les projets financés par des IDE a ainsi presque triplé, passant de 8% en 2003 à 22,8% en 2013.
Pourquoi cet engouement ? La raison est simple : le monde entier a le regard tourné vers l’Afrique, son milliard d’habitants et sa classe moyenne émergente. Bonne nouvelle : les investisseurs s’intéressent à d’autres secteurs que celui des matières premières, les services financiers, la construction et l’industrie manufacturière représentant par exemple aujourd’hui 50% des IDE en provenance de la Chine. Et les industriels prennent conscience que l’Afrique a le potentiel de devenir « l’usine du monde ».
En raison de la hausse des coûts de production en Asie, nombreux sont les fabricants à se tourner vers l’Éthiopie, le Kenya et le Rwanda. La Chine, la Turquie et l’Inde sont aujourd’hui les principaux employeurs du secteur manufacturier en Afrique. Mais le made in Ethiopia pourrait-il remplacer le made in China ? L’exemple de l’usine chinoise Huajian installée depuis 2012 dans la zone industrielle de la banlieue d’Addis-Abeba, semble en être la preuve. L’usine a généré des bénéfices dès sa première année de production et compte recruter davantage de main-d’œuvre pour atteindre trente mille employés dans le cadre d’un projet d’investissement de deux milliards de dollars. Mais si l’Afrique souhaite se positionner comme la nouvelle usine du monde, elle devra cependant s’en donner les moyens.
L’Afrique a besoin d’une main-d’œuvre qualifiée. Dans les vingt prochaines années, l’Afrique subsaharienne comptera plus de main-d’œuvre que l’ensemble du reste du monde. Comment peut-elle tirer parti de ce dividende démographique ? Cette nouvelle population en âge de travailler devra pouvoir accéder à des emplois bien rémunérés. Il faudra pour cela investir davantage dans l’éducation afin d’offrir aux jeunes une formation adaptée aux attentes du marché.
Conscients de cette carence, les institutions et les pays africains redoublent donc d’efforts afin de renforcer leurs capacités technologiques, d’orienter plus d’étudiants vers les filières scientifiques et technologiques et accorder plus d’importance à l’enseignement des sciences et des mathématiques de l’école à l’université. Le ratio de scientifiques et de chercheurs au sein de la population du continent subsaharien est de 79 pour un million d’habitants comparé à la moyenne mondiale de 1081 pour un million. De même, seuls 22% des diplômés africains sortent aujourd’hui de l’université avec un diplôme en sciences, technologies, ingénierie ou en mathématiques (ce qu’on appelle les filières STEM) contre un ratio de 40% en Chine !
La Banque mondiale contribue par exemple à la création de 19 centres régionaux d’excellence pour la recherche et l’éducation supérieure en Afrique centrale et de l’Ouest, afin de doter les jeunes africains des compétences nécessaires au maintien de la croissance économique. Et d’autres projets de ce type sont en cours de préparation. Le Sénégal, le Rwanda et l’Ethiopie se sont par exemple associés ce mois-ci à des chefs d’entreprises pour lancer un fonds régional pour l’innovation qui va soutenir financièrement 10 000 scientifiques. La formation professionnelle doit, elle aussi, répondre aux exigences du secteur privé et on pourrait par exemple envisager de créer des usines pilotes pour la formation professionnelle et de mieux intégrer l’industrie dans les écoles.
L’Afrique doit offrir un environnement plus propice à l’investissement. Cela impliquera non seulement de réduire les coûts de transport et de distribution d’énergie mais aussi d’éliminer les barrières commerciales formelles et informelles ; de rendre le marché du travail plus souple et de faire marcher la concurrence. Au cours des cinq dernières années, le Rwanda, qui ne dispose pourtant pas d’importantes ressources naturelles, a réussi à tripler le montant des IDE à destination du pays en misant notamment sur une amélioration de son cadre règlementaire.
Bien que les échanges commerciaux aient connu une croissance annuelle de 10% depuis 2000, l’activité économique de l’Afrique subsaharienne ne représente que 2% des échanges mondiaux. L’entrée en vigueur d’ici 2017 de l’accord général de libre-échange et d’un marché unique de transport aérien au sein des pays de l’Union africaine devrait placer l’intégration régionale et les échanges commerciaux au centre de la stratégie de développement du continent.
L’Afrique a besoin d’infrastructures. Si l’Afrique est perçue comme la destination phare des investisseurs, elle devra cependant s’atteler à réduire son déficit en infrastructures : une tâche gigantesque ! Pour combler ce déficit, le continent devra débourser 93 milliards de dollars par an au cours de la prochaine décennie, selon les estimations. Sans routes, sans accès pour tous à l’électricité et aux technologies de l’information et de la communication, le continent ne pourra pas concurrencer les autres régions du monde. L’Afrique subsaharienne pâtit de son manque d’intégration au commerce mondial, ses camions de marchandises n’avançant parfois pas plus vite qu’un attelage tiré par des chevaux, et ses grands ports étant constamment embouteillés.
Or, avec la hausse des volumes d’échanges, le trafic de container devrait augmenter en moyenne de 6 à 8% au cours des trente prochaines années selon la Banque africaine de développement, un fait sur lequel l’Afrique devrait capitaliser.
Reste que le principal défi est le manque d’accès à l’électricité. Les coupures fréquentes d’électricité coûteraient à l’économie africaine entre 1 et 4 points de pourcentage de PIB. Et seul un Africain sur trois a accès à l’électricité (quant à ceux qui y ont accès, ils paient jusqu’à sept fois plus que les consommateurs des autres continents). La comparaison avec la Chine est lourde d’enseignements : on estime ainsi que l’investissement de la Chine en capital fixe serait à l’origine de 50% de la croissance chinoise de ces dernières décennies. Deux tiers des routes en Chine sont aujourd’hui bitumées contre un tiers au Sénégal et seulement 7% au Kenya.
Autre facteur à prendre en compte : le fait que la concentration actuelle des investissements sur le court terme illustre la réticence des investisseurs à s’engager dans des secteurs comme les infrastructures dans lesquels le retour sur l’investissement est étalé sur de longues périodes. Paradoxalement, le retour sur investissement est plus élevé en Afrique que dans les autres pays en développement. À ce jour, les banques multilatérales de développement représentent 5 à 10% de l’ensemble des dépenses annuelles d’infrastructures.
L’Afrique a besoin d’industries agroalimentaires. Il faut stimuler la croissance dans les secteurs et zones dans lesquels les populations pauvres vivent et travaillent. L’agriculture emploie encore 60 à 70% de la population active mais ne représente que 20% de la valeur ajoutée totale. La productivité du secteur agricole reste largement insuffisante malgré l’engagement résolu des pays africains à changer la donne. Il est donc essentiel de soutenir les petits exploitants en leur donnant accès à des technologies modernes, des services financiers adaptés et un meilleur accès aux marchés. Le secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire devrait représenter près de 1000 milliards de dollars d’ici 2030, un fait que le continent doit exploiter. Le Kenya est désormais le troisième exportateur mondial de fleurs coupées et cette activité emploie plus de 500 000 personnes. Selon le Bureau national des statistiques du Kenya, la filière floricole a exporté 135 601 tonnes en 2014 et représente 1,3 point de PIB national. Toutefois, plus d’un demi-million de Kenyans entrent chaque année sur le marché du travail, ce qui nécessite des créations d’emplois massives.
Les gouvernements éthiopiens et chinois, le Groupe de la Banque mondiale, la Banque chinoise de développement et l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI) se sont associés pour organiser le « Forum investir en Afrique » qui s’est tenu les 30 juin et 1er juillet à Addis-Abeba. Objectif ? Accroître et promouvoir des investissements durables sur le continent. À cette occasion, décideurs politiques, partenaires au développement et investisseurs privés locaux et étrangers ont réfléchi ensemble à la stratégie à adopter pour booster les investissements.
La solution n’est pas si compliquée que cela mais nécessite de bâtir de forts partenariats entre les États et le secteur privé, les pays africains, leurs voisins et les autres régions du monde, et entre l’Afrique et ses partenaires au développement. Ensemble, nous pouvons faire de l’Afrique la destination de prédilection des investisseurs. Il est temps de passer à l’action.