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Pêche : des milliards engloutis faute de bonne gestion

14 février 2017


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Des pêcheurs artisanaux à Pucusana, Pérou. Photo: Flore de Preneuf/Banque mondiale


Plusieurs pistes de réformes prometteuses permettraient d’améliorer la gestion de la pêche.
  • Selon des recherches récentes, la surpêche entraînerait chaque année à l’échelle planétaire un manque-à-gagner supérieur à 80 milliards de dollars par rapport à un scénario optimal.
  • Une reconstitution des stocks à des niveaux plus sains réduirait ces pertes et créerait des revenus à l’appui d’une croissance durable, tout en permettant au secteur halieutique de s’adapter au changement climatique et de satisfaire la demande mondiale de produits de la mer.
  • Plusieurs pays ont testé des solutions pour atteindre un niveau de pêche à la fois pérenne et rentable.

14 février 2017 – Un nouveau rapport de la Banque mondiale, intitulé The Sunken Billions Revisited: Progress and Challenges in Global Marine Fisheries (a), confirme une intuition largement partagée : la surexploitation n’est pas une bonne façon de  gérer les ressources naturelles renouvelables comme les poissons si l’on souhaite pérenniser les profits, les emplois et la croissance lies à la pêche. À l’échelle mondiale, on estime à 83 milliards de dollars le manque-à-gagner pour le secteur halieutique en 2012 par rapport à un scénario optimal, en grande partie à cause de la surpêche.

Ce rapport, qui s’appuie sur un modèle bioéconomique conçu par le professeur Ragnar Arnason, de l’université d’Islande, vient actualiser une étude publiée en 2009 par la Banque mondiale et la FAO intitulée The Sunken Billions: The Economic Justification for Fisheries Reform (a) En quantifiant précisément le manque-à-gagner potentiel pour les pêches maritimes mondiales, cette étude plaidait pour une amélioration urgente de la gouvernance du secteur et a permis de relancer la dynamique en faveur de la reconstitution des réserves de poissons.

Depuis, la Banque mondiale et ses partenaires ont œuvré avec différents pays pour placer le secteur de la pêche sur une trajectoire plus durable. Voici un aperçu d’un certain nombre d’initiatives récentes ou en cours qui présentent différents éléments de solutions prometteuses. 


Pérou : réduire les flottilles de pêche à l’anchois pour protéger un secteur vital

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Jose Luis Cardenas Vilchez, un ex-pêcheur de Chimbote, au Pérou, qui dirige maintenant un restaurant de poissons avec succès. Photo: Flore de Preneuf/Banque mondiale.

 

Les côtes du Pérou abritent l’une des espèces de poisson les plus pêchées au monde : l’anchois péruvien (dit ‘anchoveta’) qui fournit une huile riche en oméga 3, entre dans la fabrication de la farine de poisson utilisée par les éleveurs et les aquaculteurs du monde entier. Sachant que les fermes piscicoles représentent désormais plus de la moitié de toute la production de produits de la mer, la sécurité alimentaire est fortement tributaire de l’abondance des stocks d’anchoveta. Mais une surpêche à grande échelle et les dérives périodiques de courants liées au phénomène El Niño dans l’océan Pacifique ont rendu cette espèce extrêmement fragile aux chocs et aux effondrements de stocks, mettant en péril une industrie précieuse pour l’économie du pays.

En 2009, la Banque mondiale a commencé à collaborer avec les autorités péruviennes pour s’attaquer à cet enjeu dans le cadre d’une ed (a). L’objectif de ces financements était de garantir la pérennité des stocks d’anchoveta, d’améliorer la gestion du secteur et de réduire les surcapacités de la flotte tout en accompagnant la transition des pêcheurs vers d’autres activités lucratives. Depuis l’instauration d’un système de quotas, les prélèvements d’anchoveta respectent les plafonds annuels définis par un organisme scientifique péruvien afin de préserver la ressource. Entre 2008 et 2015, près de 300 bateaux de pêche à l’anchois ont été mis au rebut, soit un quart de la flotte initiale.

Avec l’allégement de la pression sur les stocks, les pêcheurs indépendants et les navires de pêche industriels ont pu augmenter leurs prises et, avec l’amélioration de la qualité de la farine de poisson, leurs revenus. Le fait de passer d’un système d’accès libre à un dispositif mieux régulé a également permis de prolonger la saison de pêche (et, ce faisant, les journées de travail des équipages avec une diminution des risques physiques), d’atténuer la pollution dans les ports et de favoriser les investissements dans des activités à plus forte valeur ajoutée.

Les entreprises de pêche qui ont accepté de réduire leur flotte ont introduit des systèmes de rotation pour leurs employés et indemnisé ceux qui préféraient quitter le secteur. Jose Luis Cardenas Vilchez, ancien pêcheur de Chimbote (voir photo ci-dessus) désormais à la tête d’un restaurant de poissons très couru, fait partie des 2 283 salariés qui ont bénéficié, dans le cadre de la réforme, d’une incitation financière à la reconversion et d’une formation professionnelle.

La Banque mondiale prévoit désormais (a) d’appuyer des travaux de recherche appliquée afin de développer l’innovation dans l’aquaculture et la pêche artisanale, où il reste encore beaucoup à faire pour promouvoir des pratiques durables en ce qui concerne les espèces destinées à la consommation humaine.

Maroc : géolocaliser les navires pour assurer un meilleur respect des réglementations

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Des petits bateaux de pêche artisanale dans le port d'Essaouira, Maroc. Photo: Charlotte de Fontaubert/Banque mondiale

 

Alors que de nombreux pays sont en train d’épuiser leurs ressources naturelles et sont aux prises avec des problèmes exacerbés par le changement climatique, le Maroc montre l’exemple en concevant et adoptant des stratégies de croissance verte dans différents secteurs, dont l’énergie, la gestion des déchets, l’agriculture et, justement, la pêche.

La Banque mondiale soutient cette vision d’avenir à travers des prêts à l’appui des politiques de développement, des projets d’investissement et une assistance technique. Si la pêche risque de devoir faire face, à terme, aux conséquences du changement climatique, le principal danger qui pèse actuellement sur l’essor du secteur réside dans la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, qui menace le renouvellement des stocks halieutiques et les moyens de subsistance de quelque 500 000 Marocains.

Conscientes de ce danger, les autorités marocaines ont investi dans un certain nombre de dispositifs, dont un système de suivi des navires par satellite, qui impose aux bateaux à partir d’un certain gabarit de s’équiper de balises afin de pouvoir les suivre en temps réel et d’avoir une vraie traçabilité. Les pêcheurs doivent par ailleurs respecter des zones de reproduction de certaines espèces, interdites à la pêche, et appliquer les règles concernant le matériel acceptable et la taille minimale des prises.

Les pêcheurs comprennent bien l’intérêt des nouvelles règles. « Si tout le monde respecte la loi […] mes enfants pourront venir pêcher ici aussi », affirme Abdelkrim Bouziane, capitaine d’un bateau de pêche de Casablanca (voir photo ci-dessus).

Îles du Pacifique : collaborer pour réformer la pêche au thon

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Le thon fraîchement débarqué sera trié puis transformé (Iles Salomon). Photo : Charlotte de Fontaubert/Banque mondiale.

 

Les pêcheries de l’océan Pacifique occidental et central fournissent plus de la moitié du thon pêché dans le monde — une espèce prisée comme source de protéines et qui rapporterait près de 5,8 milliards de dollars par an lors de la première vente aux transformateurs (selon des données de 2014 [a]). À condition d’être gérée judicieusement, cette ressource peut encore alimenter la croissance pendant de nombreuses décennies.

Les pays insulaires du Pacifique ont opté avec succès pour une approche régionale de la gestion de leurs ressources partagées. Le thon étant un poisson migrateur, l’état des stocks dépend des mesures prises par un certain nombre de pays et de flottes étrangères tout au long de son développement biologique. Pour les acteurs de la pêche au thon à la senne coulissante, qui assurent l’essentiel des captures en volume, les Parties à l’accord de Nauru ont adopté en 2010 un système de contingentement des jours de pêche (a) afin d’introduire de manière concertée des plafonds de prises compatibles avec la pérennité de la ressource dans leurs différentes eaux territoriales et d’augmenter ensemble les redevances d’accès réclamées par chacun aux pays pratiquant la pêche hauturière.

Le dispositif fonctionne comme un régime de plafonnement et d’échange appliqué aux droits de pêche : les huit pays membres (rejoints depuis par les Tokélaou) conviennent chaque année d’un plafond global de prises autorisées (total admissible de captures) qu’ils traduisent en droits d’accès flexibles sous forme de « jours de pêche » accordés à chaque pays en fonction d’une formule acceptée par tous. Les pays s’engagent à ne pas céder ces jours de pêche à des flottes étrangères en deçà d’un prix plancher pour éviter un nivellement par le bas et peuvent également, le cas échéant, se céder mutuellement leurs quotas.

 

Depuis l’entrée en vigueur de ce dispositif, en 2010, le prix d’une journée de pêche est passé de 1 500 à 8 000 dollars en 2015 et les recettes totales des pays Parties à l’accord ont bondi de 60 millions de dollars en 2009 à plus de 350 millions de dollars en 2015 (a). Une somme qui ne représente cependant que 15 % environ de la rente procurée par les eaux de ces pays. À travers son programme régional pour la protection des paysages océaniques des îles du Pacifique, approuvé en 2014 (a), la Banque mondiale investit, avec le soutien du Fonds pour l’environnement mondial (FEM), dans le renforcement des capacités et la technologie afin de favoriser une gestion durable des pêches et, surtout, conforter la prochaine génération du système de contingentement.

IFC, la branche du Groupe de la Banque mondiale chargée des opérations avec le secteur privé, a pour sa part investi 10 millions de dollars pour moderniser et étendre les infrastructures de transformation du thon sur les Îles Salomon. La conserverie SolTuna est actuellement le premier employeur de Noro, avec près de 1 800 salariés, dont 65 % de femmes. Cette opération contribue à augmenter les volumes et la qualité du thon transformé localement, garantissant ce faisant des revenus et des emplois dans ces petits États insulaires qui ont peu d’autres perspectives de développement durable.

Afrique de l’Ouest : permettre aux petits pêcheurs de combattre la pêche illégale

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Daour Gueye, membre de la communauté des pêcheurs de Bargny, sur une pirogue. Photo: Madjiguene Seck/Banque mondiale.

 

En Afrique de l’Ouest, la pêche fait partie de la culture et est au cœur de la survie et de l’alimentation des populations. Pourtant, la plupart des communautés de pêcheurs vivent dans la pauvreté. Le Programme régional des pêches en Afrique de l’Ouest (PRAO) a été lancé par la Banque mondiale en 2010 et vise à accroître la contribution économique des ressources marines, en améliorant la gestion et la gouvernance des pêcheries, en réduisant la pêche illégale et en augmentant la valeur ajoutée locale des produits halieutiques.

La Sierra Leone et le Libéria ont instauré des zones de 6 milles interdites d’accès aux chalutiers et autres navires de grande taille et mis en place des centres de surveillance interinstitutionnels destinés à mieux faire appliquer les règlements. Le Libéria a en outre équipé les pêcheurs d’appareils photo avec GPS intégré afin de traquer les contrevenants. Cela a eu pour effet de réduire la pêche illégale et permettre la reconstitution des stocks de poissons côtiers, pour le plus grand profit des pêcheurs artisanaux.

Selon une étude (a) de l’Overseas Development Institute, le Sénégal aurait perdu 2 % environ de son PIB en 2012 à cause de la pêche illicite. Avec l’appui du PRAO, le pays s’est doté de nouvelles lois en faveur de l’utilisation raisonnée et durable des ressources halieutiques, avec un volet relatif aux pêches communautaires. La cogestion des ressources marines par les pêcheurs artisanaux dans 12 zones réservées a favorisé le retour d’espèces rares, la reconstitution des stocks et la hausse des revenus, comme le prouve l’expérience de Ngaparou, un village côtier du sud du pays.

Le Sénégal a par ailleurs lancé une campagne d’enregistrement de la flotte pour constituer une base de données qui sera régulièrement actualisée (19 000 bateaux sont déjà recensés) et, ce faisant, mieux contrôler et gérer l’accès aux ressources dans le secteur de la pêche artisanale.

Oman : diversifier l’économie en se projetant au-delà du pétrole

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Fishermen in Barca, Oman. Photo: Greta Gabaglio/Shutterstock

 

Avant la découverte du pétrole dans le sultanat d’Oman, dans les années 1960, 80 % de la population vivaient de l’agriculture et de la pêche. Aujourd’hui, le secteur halieutique, surtout artisanal, a pris du retard avec, selon les résultats préliminaires d’une recherche conduite par la Banque mondiale, un manque-à-gagner estimé à quelque 2,4 milliards de rials omanais (l’équivalent de 6,7 milliards de dollars).

En 2013, les autorités du pays ont sollicité l’aide de la Banque mondiale pour établir un plan capable de faire du secteur un vecteur de croissance et d’emplois et, parallèlement, d’améliorer les niveaux de vie de 40 à 50 000 personnes tributaires de la pêche et des activités connexes. L’aide technique, sous forme de services de conseil remboursables, a permis de sensibiliser les acteurs nationaux à tous les niveaux, des ministres aux pêcheurs en passant par les chefs tribaux, aux meilleures pratiques internationales en vue d’adopter une vision commune pour donner un souffle nouveau à l’industrie de la pêche.

Ces deux années de travail ont abouti à un programme stratégique pour les pêches et l’aquaculture (a), afin de créer un « secteur des pêches rentable et d’excellence mondiale, qui soit à la fois durable sur le plan écologique et un contributeur net à l’économie du pays ».

La Banque mondiale envisage dans un deuxième temps d’apporter une assistance technique au gouvernement afin d’améliorer la gestion des pêches; d’instaurer des politiques et des pratiques de gestion couplant le programme d’investissement du pays à sa vision de long terme d’une croissance tirée par le secteur privé ; de maximiser la création d’emplois pour recruter des jeunes Omanais à un tarif compétitif ; et d’introduire de nouveaux accords de gestion pour les ressources halieutiques à l’échelle locale, régionale et internationale.



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