Adnan Ghosheh, spécialiste senior de l’eau et de l’assainissement, évoque une époque, pas si lointaine, où chacun à Gaza pouvait boire l’eau de son robinet. C’était à la fin des années 90. Depuis, la nappe phréatique a été tellement exploitée que l’eau de mer s’y est infiltrée, rendant l’eau du robinet impropre à la consommation, car trop salée. Ce facteur, parmi d’autres, explique que 10 % seulement des Gazaouis ont accès à l’eau potable, contre 90 % des habitants en Cisjordanie et, en moyenne, 85 % dans le reste de la région MENA.
Quels sont les risques liés à la chute du niveau d’eau dans la nappe phréatique ?
Les effluents, peu ou pas traités, provenant des zones densément peuplées et des camps de réfugiés de Gaza pénètrent dans la nappe phréatique ou bien s’écoulent directement dans la mer Méditerranée. Ce qui provoque des pénuries d’eau alors même que la demande ne cesse d’augmenter, puisque l’on frôle désormais les 2 millions d’habitants.
La qualité et le volume d’eau disponible sont donc problématiques et expliquent la médiocrité de l’accès à des sources d’eau potable. C’est pourquoi les habitants de Gaza ne peuvent pas boire l’eau qui alimente leurs habitations, qu’ils utilisent uniquement pour les tâches domestiques. Pour l’eau potable, ils dépendent de camions citernes. Quelque 150 opérateurs fournissent une eau plus ou moins dessalée qui, une fois filtrée, peut être bue ou utilisée pour la cuisson des aliments. Elle coûte plus cher et, au regard de nos critères définissant une eau suffisamment salubre pour être consommée, elle n’est pas vraiment potable.
Q. Existe-t-il d’autres sources d’eau envisageables ?
Par le passé, Israël livrait une bonne quantité d’eau mais, avec la pression démographique, la demande a augmenté et le volume d’eau potable fourni au titre des accords d’Oslo de 1993 est désormais insuffisant. L’eau de la nappe phréatique et l’eau venant d’Israël ne suffisent plus à alimenter Gaza — une réalité qui a été soulignée par de nombreuses études. Parmi les idées avancées, la construction d’une station de désalinisation, l’importation d’eau depuis l’Égypte ou Israël en profitant des eaux transfrontalières, et, plus récemment, la mise en place d’un grand plan de dessalement avec le soutien de la Banque mondiale (a), défendue par le Service des eaux palestinien (PWA). Un autre projet de la Banque mondiale (a) prévoit de renforcer les capacités des institutions palestiniennes en charge de l’eau dans le but de parvenir à une gestion durable du secteur et de favoriser la construction d’infrastructures par essence complexes.
Au bout du compte, aucun être humain ne peut survivre sans eau. L’eau fait partie des besoins essentiels : même si l’action de la Banque mondiale relève du développement, ses activités à Gaza sont également d’ordre humanitaire.
Q. Comment la Banque mondiale intervient-elle pour résoudre cette crise de l’eau ?
Nous intervenons en étroite concertation avec l’Autorité palestinienne dans le cadre de son plan stratégique pour l’eau. Notre objectif est double : construire des infrastructures et mettre en place les capacités institutionnelles requises pour les gérer durablement. C’est là un programme très ambitieux.
Avec ses partenaires, le Service des eaux palestinien a élaboré une stratégie de l’eau pour la période 2017-22, dont l’un des objectifs vise à construire des stations de désalinisation pour compenser l’épuisement des puits. Parallèlement, le plan comprend aussi des mesures d’efficacité pour réduire les déperditions, notamment à Gaza où, à cause des conflits, les infrastructures ont été endommagées et fuient en de multiples endroits. La Banque mondiale a déployé des projets (a) pour garantir la restauration du service ainsi que la détection et la réparation des fuites.
La priorité est de garantir la pérennité de la ressource et de l’alimentation mais aussi, bien entendu, d’améliorer la gestion des effluents. L’un des plus anciens projets de la Banque mondiale porte sur le traitement des eaux usées dans le nord de Gaza. Lancé au titre d’un programme d’urgence (a), il cherche actuellement une solution durable pour utiliser l’eau traitée à des fins d’irrigation et économiser ainsi l’eau destinée à la consommation et à d’autres usages.
Q. Qu’en est-il de la gouvernance ?
La stratégie du Service des eaux palestinien prévoit un objectif institutionnel et financier pour garantir la pérennité et la viabilité économiques. Pour Gaza, où le système de gouvernance est plutôt chancelant et où les habitants n’ont pas les moyens de payer l’eau, c’est sans doute le plus gros écueil.
Nous avons bien conscience des limites, puisque certaines questions relèvent des compétences de l’Autorité palestinienne et d’autres non. C’est le cas de l’approvisionnement en eau par Israël mais aussi de l’acheminement de matériels et d’experts à Gaza. Nous nous efforçons d’intervenir sur un plan technique pour garantir la délivrance des services. Le gouvernement israélien a fini par approuver la construction d’une ligne de transport d’électricité dédiée au fonctionnement de la station d’épuration dans le nord de Gaza, après trois ans d’attente.
Tout le monde sait que l’environnement n’a pas de frontières et donc qu’une station d’épuration profitera à toutes les parties, au risque sinon que les effluents ne s’écoulent de l’autre côté de la frontière… Les Palestiniens comme les Israéliens y gagneront. Ce projet n’est donc pas un luxe inutile.
Q. Cette crise de l’eau est-elle survenue brusquement ?
La question de l’eau est devenue particulièrement sensible il y a une quinzaine d’années, avec une accélération de la dégradation du service et de l’épuisement de la ressource. Elle a déjà poussé certains habitants à fuir Gaza. La mise en œuvre des mesures visant à sécuriser l’alimentation en eau et à améliorer sa gestion devrait permettre à la nappe phréatique de se reconstituer et de fournir à nouveau de l’eau potable. Mais si, à l’horizon 2020, ces mesures ne sont pas appliquées, si l’usine de désalinisation ne fournit pas les 55 millions de mètres cubes d’eau par an nécessaires pour se substituer aux volumes pompés et si les stations d’épuration ne sont construites, alors le processus sera irréversible.
Q. Qu’en est-il dans le reste de la Palestine ?
En Cisjordanie, l’accès à l’eau est lui aussi problématique. Dans certaines zones, le fournisseur n’alimente pas suffisamment les populations qui ne consomment que 25 à 30 litres d’eau par jour quand l’Organisation mondiale de la santé recommande un niveau de 120 litres. L’opérateur est une société palestinienne mais l’essentiel des ressources sont contrôlées par Israël. La demande est particulièrement soutenue en été : à Hébron, la ville ne parvient à alimenter les habitants en eau que tous les 21 jours, nourrissant ainsi le mécontentement de la population qui rechigne à payer pour un service aussi médiocre. Quelles que soient les circonstances, les habitants de la Palestine ont, comme n’importe quel autre peuple, le droit à des services d’eau et d’assainissement adaptés.